Monsieur le président,
Votre discours à la Nation fut un discours historique. Un discours plein de bon sens. Un discours qui consacre des engagements pré-éléctoraux. Mais un discours avant l’heure.
Ce qui aurait dû être fait avant ce discours, monsieur le président, c’est la mise en place d’une stratégie rationnelle, concertée et étudiée pour le retour effectif de nos compatriotes .
Votre discours aurait dû être celui de la fin et non du début. Le couronnement d’un acte et non ses préparatifs.
L’Etat a manqué de stratégie. Une stratégie qui aurait dû précéder tout discours. Une stratégie préalable préparant le retour des réfugiés et qui aurait évité les conséquences actuelles d’un tel discours sur les esprits.
Cette stratégie aurait dû s’articuler autour d’une commission composée d’autorités reconnues pour leur neutralité, leur objectivité et leur compétence.
Cette commission, chargée de la collecte de toutes les informations nécessaires à la mise en place des voies et moyens du retour, aura confectionné un rapport de diagnostic et de propositions concrétes qui partent des réalités de terrain.
Sur la base de ce rapport on aurait établi :
1. Le nombre des réfugiés dans tous les pays concernés en coordination avec les institutions internationales concernées-HCR notamment
2. L’identification des liens administratifs (pièces d’identité) ou familiaux (filiation) ou de terroir (habitat, implantation) et tout autre moyen d’identification reconnu par la commission en concertation avec les autorités nationales, les organisations humanitaires et en conformité au droit international privé et au droit international humanitaire. Les missions de la commission dans les camps, et ailleurs, auront sur la base de ces procédures délivré aux réfugiés des cartes électroniques d’identification (avec des caractéristiques techniques définies) leur permettrant d’entrer sur le territoire aux points géographiques du territoire mauritanien préalablement définis (voir point 5 ci-dessous)
3. L’enveloppe financière à allouer à la relocalisation géographique et à l’insertion professionnelle et à l'indemnisation.
4. La localisation des lieux de retour avec identification des droits de chacun sur des biens ou sur un emploi.
5. L’identification en collaboration avec les pays limitrophes et les organisations humanitaires de couloirs géographiques d’entrée sur le territoire organisant et le décompte des entrées et l’enregistrement des personnes aux fins de suivi administratif (état civil , aide financière)
6. La mise en place d’un réseau informatisé centralisé de fiches électroniques (définies au point 2 ci-dessus) permettant l’enregistrement rapide et la collecte des données aux fins du registre national des noms et patronymes pour compléter les données de l’Etat civil .
7. L’Affectation de moyens matériels (véhicules, laisser-passer) et formation rapide d’un personnel qualifié pour l’accueil aux points d’entrée géographiques (administratifs, médecins..)
8. Mise en place d’un calendrier d’ouverture des points d’entrées géographiques en concertation avec les pays limitrophes sur la logistique du transport et d’accomodation des personnes jusqu’aux points d’entrée.
9. Désignation des organisations nationales et internationales chargées de l’observation du processus de retour.
Et quand, enfin, nos compatriotes auront regagné leur patrie, alors, monsieur le président votre discours aurait alors pris tous ses effets.
Mais, maintenant, après ce discours avant l’heure, quel est le sentiment général qui prévaut ?
Une sorte d’amertume et même un sentiment d’appréhension d’un mécontentement qui ne dit pas son nom.
Monsieur le président, ce mécontentement ne vient pas du fait que nos frères vont revenir (au contraire!), ni de la souscription que vous avez faite de vos engagements qui sont tout à votre honneur, c’est que les conséquences sociopolitiques d’un tel discours n'ont pas été suffisamment évaluées
Monsieur le président,
l’absence de la stratégie sus-visée a engendré les effets récurrents suivants sur le grand public :
- La méconnaissance du nombre de nos compatriotes attendus a reveillé les vieux démons de l’équilibre démographique de la Mauritanie. L’élasticité du rapport Maures-négro-africains est mis à rude épreuve. Ce qu’il faut à tout prix éviter. Et cela aurait pu l’être si le "point 1" de la stratégie est respecté (nombre de réfugiés), car cela aurait permis à l’opinion publique d’adhérer au projet de retour en connaisance de cause. Et éviter ainsi les supputations sur le « raz-de-marée » humain que certains groupes malintentionnés utilisent pour engendrer la confusion dans les esprits.
- La méconnaissance des procédures de retour et des moyens (administratif, techniques etc .) d’identification des réfugiés entrainent la réaction classique selon laquelle : « tout négro-africain de quelque rive quelle soit du fleuve pourra se déclarer Mauritanien ». Comment saura-t-on distinguer le « non mauritanien» du reste. La réponse au point 2 de la stratégie éviterait de telles interrogations qui ne sont pas sans incidence sur un état d’esprit latent et qui ne demande qu’à émerger au moindre incident.
- La détermination de l’enveloppe financière est plus qu’importante car elle montre déjà la volonté de l’Etat de prendre en charge la relocalisation et l’insertion des rapatriés. Ce qui balayerait les appréhensions de ceux qui utilisent l’argumentaire fallacieux selon lequel, les rapatriés seront laissés à eux-mêmes les transformant ainsi en délinquants potentiels ou qui viendraient se greffer en oisifs sur les resources nationales déjà maigres du pays. Argumentaire de la criminalité et de la famine que le point 3 de la stratégie aurait largement contribué à aménuiser et à réduire à sa plus simple expression. L’Etat épaulera les rapatriés et leur offrira les moyens nécessaires à leur subsistance (emploi, travail, soutien etc.)
- Ce que craint actuellement une bonne part de la population riveraine du fleuve est la relocalisation des nouveaux venus. Quelles terrres leur octroyer ? Quels biens meubles et immeubles ont-ils laissés et s’il ya lieu occupés par d’autres etc. Une phobie d’un retour annoncé et qui n’arrange pas certains. Le point 4 de la stratégie sur la « localisation des lieux de retour avec identification des droits de chacun sur des biens et sur son emploi » aurait permi de planifier les difficultés et de trouver des solutions juste et acceptées de rechange en cas de conflit sur des biens ou des ressources (indeminisation, échange etc.)
- L’identification de couloirs géographiques pour le retour sont très importants pour la bonne organisation administrative et la gestion humaine maîtrisée du flux des retours. Le point 5 de cette stratégie évitera les différends avec les pays frontaliers et permettra la concentration des efforts et des moyens matériels et humains sur des points stratégiques et d’asssurer une sécurité territoriale et une surveillance des frontières continues.
- La célérité des procédures à travers un système informatisé centralisé est une donne essentielle pour éviter le blocage des opérations à travers un rescensement manuel (qui reste cependant complémentaire). Ainsi par exemple le système informatique pourra simplement servir à enregistrer aux points géographiques d’entrée les cartes magnétiques qui auraient été remises, dans les pays d’accueil, aux mauritaniens qui auraient été identifiés par la commission ou les missions dépéchées par la commission dans les camps. Cette carte servira à reconstituer l’état civil et suivre le dossier administratif (indeminisation, emploi, travail, restitutions de biens etc). Le point 6 de la stratégie pourrait beaucoup contribuer au retour rapide et ordonné.
- Quand à l’identification des moyens matériels et humains nécessaires à la logistique du retour, l’identification des organisations d’observation et la fixation d’un calendrier de retour à travers les points géographiques d’entrée en concertation avec les pays limitrophes, ce sont des points essentiels pour éviter tout blocage en terme de ressources, en terme de dénonciation par les organisations humanitaires et en terme de non disponiblité des autorités des pays limitrophes pour participer aux opérations. En somme les points 7, 8 et 9 de la stratégie sont les lubrifiants de l’appareil de rapatriement.
Une telle stratégie de rapatriement aurait eu le mérite :
- d’informer le grand public sur ce que l’Etat va faire et donc asseoir la confiance et obtenir l’adhésion nationale.
- de couper court à la volonté de manipulation de groupes malveillants d’une frange de la population
- de réaliser le retour dans la sérénité et le calme des esprits
- d'éviter aux rapatriés le sentiment de retour au pays où ils seront sans ressources, sans papiers et démunis de moyens de recours.
Cette stratégie ,précédant votre discours, aurait fait de ce dernier le courronnement d’une reconciliation nationale et non pas tel qu’il est ressenti actuellement : un discours aux mille conséquences et qui fait naître dans les esprits échauffés un imaginaire que certains n’hésitent pas à transformer en phobie.
Pr ELY Mustapha