Lorsque en 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, devint président, quatre mois auparavant, il ne pouvait y penser. Et pourtant il le devint.
Damant le pion à tous les prétendants au fauteuil présidentiel. Ceux qui historiquement se sont battus et souffert pour y accéder et ont échafaudé, durant leur longue carrière politique d’opposants, mille et un plans pour la société. Ceux qui ont pris le train en marche voulant apporter leur lot de solutions qu’ils jugeaient les meilleurs. Et enfin, les opportunistes qui se caseraient bien dans le fauteuil présidentiel pour servir et valoir de ce que de droit.
Bref, Sidioca, puisqu’ainsi on l’appelait, en arrivant à la présidence, y
arriva par une porte par laquelle nul ne l’y attendait. Mais il arriva. Et
le grand drame de ses challengers étaient qu’ils ne savaient rien ni sur les
capacités politiques de cet homme ni sur sa personnalité et son aptitude à
diriger. D’autant plus que, loin de tout et du milieu depuis des dizaines
d’années, il n’était ni versé dans le milieu politique ambiant de l’époque de
la « chape de plomb », ni leader expérimenté d’un parti politique opérant sur
le terrain. Il arriva. Un point c’est tout. Comme ces tourbillons
d’air qui tout-à-coup fendent le paysage. Un cheveu tombé dans la soupe…
Que pourrait bien penser cet homme de la situation dans laquelle il se trouvait
? Souffrirait-il de cette « galère » dans laquelle il fut plongé ? Ou au
contraire, inaugurait-il une nouvelle vision de la gouvernance ?
D’aucuns lui reprochaient dès sa première une année au pouvoir, une forme
d’inertie et de réserve dans la gestion des affaires de l’Etat. Une absence de
communication permanente avec le peuple. Un quasi-enfermement que l’on pense
voué à la méditation hors des préoccupations quotidiennes d’un chef
d’Etat. Qu’en etait-il vraiment ?
N’étant ni habitué aux couloirs du palais ocre et n’ayant pas en main quelque
mémoire écrit du regretté président, il reste que l’approche la plus indiquée
reste l’analyse de la personnalité à travers ce qu’elle est ou, mieux encore, ce
qu’elle devrait être eût égard au statut de la personne et à sa place dans la
société. En somme à ses convictions résidus de ses croyances.
Sidioca est un homme qui vivait une philosophie de la vie insufflée par le
cheminement spirituel d’une confrérie à laquelle il appartient (I).
Un cheminement
qui aujourd’hui dans son expérience politique traverse un espace dont l’absence
de spiritualité n’a d’équivalent que la longueur des crocs de ceux qui
l’habitent : les loups du microcosme politique mauritanien(II).
En somme, un
soufi chez les loups.
Comment cet homme, spirituellement attaché à un courant religieux qui prône le
détachement de ce monde, peut-il gérer les affaires humaines de la cité ?
Comment le
pourrait-il, lorsque brusquement tombé en politique, une sphère dont la
spiritualité est douteuse, il se retrouve face à ses loups. Tous crocs dehors
et qui n’ont devant eux qu’un homme dont le moindre des principes pacifiques
est de ne point de livrer combat.
Dans quel état psychique se trouvait ce Tijani
propulsé au sommet d’un Etat humain et dont la spiritualité ne lui impose la
recherche que d’un état divin. La communion spirituelle avec Dieu.
I- Sidioca face à son dilemme : diriger ici-bas en vivant tout là-haut.
Comment comprendre, que Sidioca soit peu enclin au discours et au contact
populaire ? Préférant observer de loin toute chose et lui trouver sa place dans
l’ordre spirituel.
Observons d’abord l’ordre spirituel auquel il appartient.
1- Du soufisme en général et de la tijania en particulier : Où
l’on comprend la vanité de ce monde.
L'Imam Ach-Chafiii a dit :
" J'ai tenu compagnie aux Soufis, j'ai appris d'eux ou trois choses.
Leur affirmation
: le temps est comme une épée, si tu ne le tranches pas, il te
tranchera.
Leur
affirmation : si tu n'occupes pas ton esprit par la vérité, il t'occupera
par l'erreur.
Et leur parole
: l'abstinence est une protection."
(Rapporté par
l'Imam Jalal Ad-Din As-Souyouti dans Ta'yid Al-Haqiqah Al-Aliyyah.)
L’Imam Chafiii en résume bien ici les préoccupations fondamentales des
soufis : Le temps, l’esprit, la vérité, l’erreur, l’abstinence.
Le temps, l’erreur, sont des ennemis.
La vérité et
l’abstinence sont des amis.
L’abstinence
préservant de l’égarement de l’esprit qui recherche la vérité en domptant le
temps.
Sidioca fut un homme pieux. Un tijani.
La Tidjaniya,
voie sipirituelle musulmane fut fondée par Cheikh Abou
al-Abbas Ahmed at-Tijani vers 1781 à
Ain ElMadi en Algérie. C'est une voie dont la doctrine est basée sur le Saint
Coran et la Sounna du prophète Mohamed (Paix et Salut sur Lui). C’est une voie
soufie.
2. L’exploitation courtisane d’une philosophie soufiste : Où l’on
comprend ce monde de la vanité
Lorsque par ses
convictions on veut bien préparer l’au-delà. Il arrive que par pragmatisme
on abandonne l’ici-bas à ceux qui sont autour de soi.
C’est ce qui semble être arrivé au président. La démocratie nécessitant la
collaboration et la décision, les voies du seigneur deviennent alors… finies.
Réduites à ceux auxquels on peut faire confiance. En somme à une pléiade d’individus
qui souvent ne partagent ni la même conviction, ni même les centres d’intérêts.
La plupart de ceux qui occupent les hautes sphères du pouvoir n’ont de soufi
que ce que leur conscience a laissé or celle-ci est consignée depuis belle
lurette au vestiaire des idées reçues d’un ancien régime qui traine encore ses
relents vespéraux sur la conscience d’un peuple endormi. (Voir mon
article sur « l’analyse psychique d’un peuple mauritanien». )
Face aux crise des institutions, dont la lâche « fronde » des sénateurs, le soufi se devait de s’occuper
des choses de ce monde. Il ne pouvait plus rester en contemplation.
Consacrant un ouvrage à la psychologie Soufi, le Dr. Nurbakhsh Ecrit :
« Le soufi considère que l’homme est naturellement imparfait ; c’est un
malade que son manque de discernement empêche de saisir la « Vérité-Réalité
».
L’homme est
incapable par lui-même d’atteindre le vrai, car sa vision est faussée par les
apparences et par son propre psychisme. La psychologie moderne reconnaît
bien que la plupart des motivations humaines s’effectuent dans l’inconscient,
c’est lui qui détermine et gouverne l’homme « non préparé » même lorsqu’il
croit agir d’après la raison.
C’est ce stade psychomental qui est désigné par le soufisme sous le nom de «
Nafs Ammareh » (âme commandante) c’est-a-dire qui est sous l’empire tyrannique
de l’inconscience. L’homme a l’impression que sa propre conscience le gouverne
et que sa volonté intervient sans cesse. Or, c’est une erreur. A ce stade, sa
décision est déterminée par la surface « visible » du psychisme qui fait corps
avec l’inconscient jusqu’au « ça ». Le sentiment de volonté n’est dû qu’à
la conformité des instincts, des pulsions, avec les exigences du sur-moi ; il
n’est point l’expression de la puissance véritable du spirituel sur le
psychomental. Or donc, le premier devoir du soufi est de s’affranchir de
cette dépendance à l’égard de son inconscient spontané[1] ».
Donc sachant bien que dans son entourage des personnes ont obéï depuis belle
lurette à l’appel du mal sous l’effet de la fameuse tendance humaine à pencher
pour le mal et que les soufis reconnaissent dans le principe ; « El nafsou
amaratoun bil sou’i », le Président fut bien pris dans un dilemme :
- Soit il prend au pied de la lettre le
commandement soufi et s’armer de patience suivant les préceptes de Dieu : « Ce
n’est pas à toi de les diriger, mais Dieu dirige qui il veut » (Verset 272
Sourate Elbaghara)
Donc
laisser au Divin le soin de gérer l’Etat à sa place et se consacrer uniquement
à la méditation.
- Soit attendre d’atteindre la «
perfection », pour pouvoir surmonter tous les problèmes qu’il rencontre. Ce qui
n’est pas une chose aisée ni dans l’espace , ni dans le temps. En effet,
l’auteur précité fait remarquer : « Il en est de même pour le soufi qui
doit se remettre totalement en question avant d’entrer en possession de sa
vraie personnalité. Ce travail ne saurait être réalisé que sous l’étroite
surveillance d’un Qotb (un homme parfait), car il est hérissé de dangers dont
le moindre serait d’accentuer les fausses structures internes. C’est pourquoi
en soufisme on considère que tout homme qui n’a pas subi le débridement de ses
fausses motivations est un homme malade. »
Voilà le Président de la République assujetti à une philosophie soufie qui
lui dicte un comportement qui explique certainement sa façon de voir les choses
et de les apprécier. Situation qui fut probablement mal comprise des
observateurs. Et qui pouvait expliquer bien des attitudes du Président.
Notamment la précaution, la gestion spécifique du temps, son effacement
par rapport au public, son absence de volonté de « paraître » ou de parler tout
le temps en public et pour le public.
Ibn Arabi ne disait-il pas : « Le silence de la langue est un des
traits ordinaires de tous les hommes spirituels et de tous les maîtres de la
voie. » ?
Autant d’attitudes qui prennent justement leur source dans l’attitude
spirituelle du soufi. A savoir, la réduction du temporel au spirituel,
l’effacement de l’être pour ne voir que Dieu et sa voie spirituelle. En
définitive un détachement de ce monde ou le soufi veut détruire son « ego »
(ennafs) qui peut être à l’origine du mal.
Ainsi le soufi Erroumi « pense que l'égo humain peut-être combattu et
finalement annihilé à travers une alchimie spirituelle de transformation, ou
purification de l'âme (tazhiyat al-nafs). Le processus d'alchimie spirituelle
comprend la transformation du « nafs» à travers de nombreuses étapes, depuis
l'état le plus bas de al-nafs al-ammarah (l'âme instigatrice au mal) jusqu'à
l'état le plus élevé de l'extinction en Dieu (fana' fi Allah). Lorsque l'égo
est annihilé en Dieu, l'homme n'est plus séparé de Lui. Au niveau du fana'
(anhilation de l'égo en Dieu) il ne reste plus que la réalité de la shahadah :
La ilaha ill al-Allah (Il n'y a d'autre Dieu que Dieu). »[2]
II- Quelle influence cette psychologie a -t-elle eu sur la gestion de
l’Etat ?
Au vu de ce qui précède, on en déduit donc que Le Président Sidioca était ,
comme tout Soufi ,à la recherche de sa voie spirituelle (Tariqua) qui lui
permet de dépasser sa condition humaine en communiant avec Dieu et est soumis
spirituellement à un Qotb (un maître parfait) qui le guide dans cette voie.
Dans ces considérations, le Président de la République, est en principe soumis
à un comportement spirituel qui devait certainement handicaper sa gestion du
temporel. C’est-à-dire les affaires de ce bas-monde.
Alors qu’elle pouvait être son attitude à leur égard ? Elle ne pouvait
être que de trois types :
1. Soit se consacrer totalement à la gestion des affaires de l’Etat
2. Soit ignorer les affaires de l’Etat et se consacrer à sa spiritualité
3. Soit se décharger partiellement sur une personne tierce pour gérer les
affaires de l’Etat en son nom
La situation « 1 » est absolument contraire à sa philosophie. Donc à rejeter.
La situation « 2 » est partiellement vraie. Le chef de l’Etat entend se consacrer
à son soufisme jusque dans l’enceinte de la Présidence. La construction d’une
mosquée dans son enceinte en avait témoigné, à l’époque. Mais le chef de l’Etat
n’en ignore pas pour autant les affaires de l’Etat, mais il les « traite » à sa
façon.
La situation « 2 », n’est pas impossible, puisque désireux de se libérer le
plus souvent des choses d’ici-bas, il se pourrait bien qu’il n’hésitait
pas à confier à une personne tierce (de la famille ou d’un cercle d’influence),
la gestion des affaires de l’Etat. Cette gestion se faisant de façon
direct ou indirecte.
Où tout s’explique…
Ainsi donc de toute évidence, les différents reproches faits au chef de l’Etat
de ne pas prendre les choses en main, de confier ses affaires à ses proches de
se laisser facilement influencer ou même diriger par ceux de son entourage,
pourraient alors trouver explication. Non pas , comme on a tendance à le
faire croire, du fait d’une « absence de personnalité » ou « de faiblesse de
caractère », mais simplement du fait de la « philosophie de vie » d’un
président soufi.
Ainsi aussi s’expliquent ses fréquents voyages, qui le détachent des
matérialités de la présidence. Voler c’est se libérer. Ses voyages à des
moments critiques, comme la crise gouvernementale. Car pour le soufi tout
ici-bas n’est qu'éphémère, sans valeur.
Ali Ben Abdallah Al-Imrani Al-Hassani ne disait-il pas :
« Que toute chose entre Toi et Moi soit cultivée,
Et qu'entre moi
et les mondes, il n'y ait que désert !
Si Ton amour
est assuré, tout est facile,
Car toute chose
sur terre n'est que terre. »
Un soufi parmi les loups.
Ou quand la
spiritualité d’un homme, conduit au sommet de l’Etat, rencontre des
matérialités d’un bas-monde que des hommes, avides de partager, mettent en cage
le temps d’une présidence.
Le soufi s’est envolé, les loups sont toujours là. Mais, il avait compris, depuis bien longtemps, qu'ils n'étaient que des affres d’ici-bas.
Paix à son âme.
Pr ELY Mustapha
[1] http://www.journalsoufi.com/index.php?option=com_content&task=view&id=370&Itemid=52
[2] Voir
“Rumi's View of Evil” by Zailan Moris sur http://www.sufism.ru/eng/txts/rumi.htm et
référence précédente.