Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Comment osez-vous mettre en garde vos concitoyens français à propos du danger de circuler dans certains quartiers de Nouakchott ? Comment avez-vous pu oser engendrer la colère de notre gouvernement à propos d’un danger qui est loin de la dimension à laquelle vous pensez ?
Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir et particulièrement d’Ould Abdelaziz, jamais une quiétude si grande n’a régné sur les habitants de Nouakchott et ses beaux quartiers. Les agressions physiques, les suicides quotidiens, les viols et autres criminalités que l’on retrouve dans les quartiers de Paris, en France, nous ne les connaissons pas. Notre police au garde-à-vous à tous les coins de la capitale est l’une de plus efficace et des mieux tenues (au sens propre et figuré) du monde. Elle protège le citoyen, la veuve et l’orphelin ; et tous vos concitoyens français qui circulent dans les quartiers sécurisés de Nouakchott, le savent quand ils abordent nos policiers et nos gendarmes souriants, affables et surarmés pour les protéger, contre un danger fictif que vous, excellence, vous vous appliquez à faire exister à travers vos mises en garde diplomatiques et consulaires.
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Depuis son arrivée au pouvoir, Ould Abdelaziz est un homme de Dialogue, et même ceux qui sont potentiellement criminels, ont renoncé à exercer leurs talents par respect et devant tant de sollicitude et d’écoute de celui qui a fait ses preuves en renversant un Président élu, commis deux coups d’Etat et fait mordre la poussière à toute une opposition farinée.
Alors, comment voulez-vous qu’il y ait de la criminalité dans les quartiers de Nouakchott, puisque tous les ménages sont dans l’abondance, les marchés débordent de victuailles et les mendiants n’existent que parce qu’ils cherchent à s’enrichir d’avantage.
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Quelle que soit votre réponse, à l’attitude froissée du gouvernement mauritanien exprimée par un porte-parole, attractif des jets de sandales, nous croyons ferme que la mise en garde que vous avez adressée à vos compatriotes est très « inamicale ». Non pas inamicale pour la Mauritanie, loin de là, mais pour vos propres compatriotes que vous privez de venir circuler dans nos beaux quartiers, pavés aux grés, fleuris et odorants qui ne doivent rien à la Cité Florale du XIIIe arrondissement (comme vous le savez, entre la Place de Rungis et le Parc Montsouris.)
C’est pourquoi vos compatriotes devraient faire une pétition pour le rétablissement de leurs droits inaliénables à visiter les quartiers de Nouakchott, leurs droits culturels et touristiques en sont gravement lésés.
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Jamais nos quartiers n’ont été aussi salubres que durant les mandats du « président des « pauvres » (les pauvres !). La pauvreté est devenue invisible est c’est l’un des acquis de ce régime, puisque les détritus s’amoncelant dans les rues et les avenues, ils cachent les pauvres. Mais ravisez-vous de dire « inamicalement » comme j’ose le dire, « détritus », car en fait dans la politique actuelle du régime les immondices qui couvrent Nouakchott font partie de la stratégie de développement du pays visant à produire à l’échelle nationale un humus fertilisant des rues et des avenues afin de faire refleurir davantage les beaux quartiers de Nouakchott (le grain est dans le sable) . Le citoyen mauritanien l’a d’ailleurs très bien compris, lui qui se débarrasse de tout détritus par toutes les issues possibles (porte, fenêtre, portière de voiture, charrette au galop) ; et si l’un de vos heureux compatriotes, ayant (ô combien !) la chance de circuler à Nouakchott, reçoit une poubelle pleine sur la tête qu’il s’estime heureux, il participe à la dynamique du développement soutenue par l’Aide publique française au développement versée à la Mauritanie.
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Les homicides dont vous entendez parler dans nos quartiers sont pour la plupart… involontaires. Qu’on se le dise ! Car nos voitures n’ont pas de freins (ni à pied ni à main), nos piétons peuplent allégrement le bitume, nos taxis sont à vitesse unique, nos policiers ont depuis longtemps avalé leurs sifflets. Tout est involontaire, nous sommes, monsieur l’ambassadeur, un peuple innocent. Pourquoi donc privez-vous, par une déclaration inamicale, vos concitoyens de flâner dans nos belles de cités de « netteg jembe » l’odorante, de Baghdad, la flottante… ?
Ici, vos compatriotes développeront par des exercices quotidiens, leur odorat, là-bas ils apprendront à surfer dans nos rues sur les lacs d’eau saumâtres de nos blanchisseries à ciel ouvert. Et ils pourront même (ô bonté divine !) faire le saute-mouton sur les cadavres d’ânes au soleil.
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Vous voyez donc que, comme l’a si bien dit le porte-parole d’Ould Abdelaziz, vous avez pris un acte contraire à l’amitié qui doit lier nos deux pays. En ne pas laissant vos concitoyens se faire arnaquer, ni agresser, ni voler dans certains de nos quartiers, vous faîtes preuve d’un manque de solidarité avec la politique de développement de nos villes et cela ce n’est pas… diplomatique. Comment le policier véreux va mettre du beurre sur ses épinards (qui d’ailleurs sont inconnus en Mauritanie), comment le pauvre criminel lâché dans la nature par un régime incompétent, payera-t-il son loyer sinon en trucidant son bailleur et là, vous incitez vous-même au développement de la criminalité. Car sans vos compatriotes dans certains de nos quartiers quel avenir économique local sans euros subtilisés ?
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Une lettre explicative, d’excuses voilées et jetant quelques fleurs au régime putschiste d’Aziz (Dialogue salutaire etc. etc.) ne suffit pas, il faut que vous vous rachetiez, non pas auprès de la Mauritanie, mais auprès de vos compatriotes en publiant sur le site de l’ambassade de France à Nouakchott l’avis suivant :
« Tous nos compatriotes visitant la Mauritanie et particulièrement Nouakchott et certains de ses quartiers sont vivement encouragés à continuer leur visite.
Cependant les précautions suivantes sont à prendre avant de voyager dans ce beau pays :
- Prendre des cours de twist pour savoir éviter les jets de seaux d’eau sale aux coins des rues ;
- Emprunter une côte de maille (de préférence au musée national des armures médiévales) pour flâner l’esprit tranquille dans certains quartiers ;
- Se faire tatouer tout le contenu de son passeport directement sur la peau pour faciliter à l’ambassade le rapatriement en cas de gentille subtilisation des documents personnels ;
- De se munir d’un panneau de STOP pour traverser les rues et si impossible à trouver, prendre des cours de saut de kangourou (s’exercer à sauter le plus haut possible. Les camions font aussi le taxi) ;
- Prendre des cours de zoologie animale pour pouvoir parler aux taximen et aux conducteurs de charrette (l’âne en est souvent le maître) ;
- Ne pas utiliser son téléphone portable en cas d’urgence. Un portable exposé expose à une autre urgence.
- Développer ses facultés olfactives, pour se guider dans les quartiers (l’air devient moins odorant à la périphérie et plus acre au centre).
- Apprendre à être patient pour retirer de l’argent. S’exercer à utiliser sa carte de crédit dans une bouche à incendie, les distributeurs locaux (DAB) réagissent moins vite.
- Ne prendre le taxi qu’en cas de catastrophe (exemple si Sarkozy revient au pouvoir) et vérifier la direction qu’il prend. Les taximen appliquent les théorèmes de Thales pour saler la facture. Autant dire qu’ils n’empruntent la ligne droite que pour les autochtones.
- Enfin, dans tous les cas si quelqu’un parle de la déclaration inamicale de « votre ambassadeur » sur certains quartiers de Nouakchott et que vous êtes dans l’un deux, dîtes : « combien ? »
Ceci dit, l’Ambassade rassure tous les compatriotes sur la bonne situation de sécurité qui règne à Nouakchott et elle reste à l’écoute de tous les compatriotes visitant les quartiers visés, si, bien-sûr, ils en reviennent. »
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
En publiant cet avis, l’ambassade de France en Mauritanie aura couvert la déclaration inamicale qu’elle a faite aux français visitant Nouakchott puisque, de toute façon, elle n’avait pas à adresser des excuses au gouvernement Mauritanien, dont, soit dit en passant, les membres ne vivent pas dans lesdits quartiers.
Quant au peuple Mauritanien et aux habitants desdits quartiers, ils savent que la criminalité de quartier fait moins de victimes que celle qui s’exerce au (et depuis) le sommet de l’Etat.
Recevez, excellence, l’expression de ma considération la plus offusquée par votre déclaration inamicale à l’égard de vos concitoyens français, contribuables, pourvoyeurs de l’aide publique française au développement que nous recevons (dans les poches de nos dirigeants).
Pr ELY Mustapha
Crédits images et graphiques : Ibrahima Sy, Mouhamadou Koita, Doulo Traoré, Moussa Keita, Baidy Lo, Marcel Tanner et Guéladio Cissé « Vulnérabilité sanitaire et environnementale dans les quartiers défavorisés de Nouakchott (Mauritanie) : analyse des conditions d’émergence et de développement de maladies en milieu urbain sahélien ». Vertigo – La revue électronique en sciences e l’environnement - Volume 11 Numéro 2 | septembre 2011. (https://vertigo.revues.org/11174)