mercredi 28 août 2019

Les caisses de l’Etat sont vides ! Les pouvoirs publics nous trompent-ils sur les finances publiques ?



Les caisses de l’Etat sont vides !  C’est une affirmation souvent  correcte. 
Car les caisses de l’Etat sont par définition... souvent vides !
 La véracité de cette affirmation dépend donc de l’instant où on l’exprime.  C’est un point de rencontre entre la théorie quantique et les finances publiques. 

Alors comment est-ce possible ? Simple, L’Etat est la seule personne morale publique qui peut dépenser … ce qu’elle n’a pas.  

Comme dans la théorie quantique où un électron peut être en deux endroits à la fois, si on ne l’observe pas, l’Etat peut être pauvre et riche en même temps.   

Prenons un exemple: lorsque la loi de finances de l’Etat est votée pour l’année N +1 (disons pour l’année 2020), l’Etat n’a encore aucune ouguiya dans ses caisses. Son budget est purement prévisionnel lorsqu’il est voté en recettes et en dépenses. Pourtant l’Etat peut dès le mois de janvier de l’année 2020 commencer à dépenser, il le fait alors que les recettes (fiscales, non fiscales, etc.) n’ont pas encore été perçues, c’est-à-dire encore recouvrées par le Trésor public. Il dépense donc ce qu’il n’a pas. 
Il continuera à dépenser conformément aux allocations budgétaires autorisés par loi des finances de l’année, mais alors d’où tire-t-il les moyens financiers dont il dispose ?
En attendant que les recettes fiscales et non fiscales (emprunts, produit des dividendes, revenus du domaine, amendes etc.) entrent dans les caisses du Trésor , l’Etat empruntera pour faire face à ses dépenses domestiques (salaires notamment), parmi ces emprunts que l’on rattache à la gestion de Trésorerie, figurent les bons du Trésor.
Le bon du Trésor et un moyen d’acquisition d’argent frais pour le besoin de Trésorerie.  En effet, les bons du Trésor sont des titres émis par l’Etat en représentation d’emprunts effectués dans le   cadre   de   l’équilibre budgétaire. Ils participent à la fois au financement à court terme du Trésor et à la réalisation de la politique monétaire de l’Etat, dont la moindre des manifestations est l’action sur la masse monétaire en circulation avec ses effets sur l’inflation, les taux d’intérêt, l’investissement, le crédit aux agents économiques, la liquidité monétaire etc. etc.
Ce sur lequel il convient de se focaliser dessus, ce n’est pas le pouvoir tout-à-fait légal, sinon même indispensable, d’émission des bons du Trésors ou d’autres instruments d’emprunts (à moyen ou long terme), c’est la politique monétaire de l’Etat mise en rapport avec la situation économique réelle du pays 
Il n’y a donc rien d’exceptionnel à émettre des bons du Trésor (qu’ils soient de simples bons du Trésor ou la variante islamique de ces bons). D’ailleurs la BCM, ne se limite pas aux montant des bons du Trésor mis en adjudication, elle les dépasse parfois de 100 % lorsque les soumissionnaires en réclament davantage et que l’offre n’est pas suffisante.
Quant aux bons du Trésor, la Banque Centrale en émet quasiment tous les quinze jours, sinon toutes les semaines et pour des milliards d’UM!
Pourquoi alors cet intérêt soudain pour l’émission du 27 août 2019 et non pas pour celles qui l’on précédée ?
La différence par rapport à Juillet, c’est que le 27 août Aziz n’était plus là…. et il fallait demander des comptes dans une atmosphère succédant à une dizaine d’années d’un pouvoir accusé de corruption, de détournement et de dilapidation des biens publics. « Aziz a tout emporté, ses courtisans aussi, …les caisses de l’Etat sont vides ! » Il fallait lever le doute…
C’est ainsi que le changement de Président et de gouvernement a aussitôt entrainé la focalisation sur la dernière émission de bons du Trésor.  
Beaucoup pensant ainsi que l’émission de bons du Trésor du 27 Août vise à couvrir la soustraction financière, notamment des liquidités du Trésor public opérée par le régime d’Aziz sur le départ
.
Ceci ne peut correspondre à une réalité puisque d’abord la pratique des bons du Trésor est ancienne, et, la BCM en émet toutes les semaines et au plus tous les 15 jours !

Ainsi l’émission du 2 juillet 2019 avait permis d’engranger (à travers les soumissions retenues) 789 Millions d’UM (soit un taux de couverture de 197%), alors que celle deux mois plus tard du 27 Août, objet de la contestation n’en a permis que 356 millions.

Voici à titre d’exemple la liste des émissions de bons du Trésor pour les mois de juillet et d’Août :


Le montant total des soumissions (retenues) pour l’émission du 02 juillet 2019 (789 millions d’UM) dépasse largement celle ayant fait l’objet de la dénonciation, soit celle du 27 Août 2019 qui, elle, n’a permis de lever que 356 Millions d’UM (sur les 660 millions mis en adjudication par la BCM).
La différence par rapport à Juillet, c’est que le 27 août Aziz n’était plus là…. Et mieux encore pour l’adjudication de l’émission des bons du Trésor du 02 juillet, alors que la BCM n’avait requis que 400 millions d’UM, elle s’en est vu soumissionnée 786 millions d’UM, soit un taux de couverture de 197% !
Et pourtant, cela n’a pas fait de bruit.
Bref, l’émission de bons du Trésor est une opération de politique monétaire tout-à-fait ordinaire dans la gestion des finances publiques.
Rappelons que la Conférence de Presse du Ministre des finances et du Gouverneur de la BCM, a eu pour objectif de rassurer sur l’Etat de santé des finances publiques suite au tollé généré par l’émission de bons du Trésor !
Cependant, l’argumentaire avancé durant cette intervention pour prouver que les « caisses de l’Etat ne sont pas vides » à savoir le niveau des réserves de change (1Milliard de dollars/2019 soit 06 mois de couvertures des importations) … n’est pas démonstratif. 
Le commun des mortels se poserait la question : Quel rapport y a-t-il à utiliser l’argumentaire des réserves de change qui sont tendues vers la balance des paiements pour prouver que les caisses de l’Etat ne sont pas vides puisque les réserves de change ne sont pas destinées à financer la dépenses domestiques de l’Etat, elles ne couvrent pas  les dépenses budgétaires et particulièrement les dépenses de fonctionnement, elles n’entrent pas non plus dans les recettes ordinaires de l’Etat pour financer ces dépenses (salaires des fonctionnaires et achat des biens, fournitures etc.) . Et c’est justement ce sont ces dépenses ordinaires qui sont les plus perceptibles par le bon père de famille. Les grands agrégats économiques et la balance des paiements ne sont pas le premier de ses soucis.
L’attitude de l’Etat ressemble un peu à une personne qui dispose de quoi acheter ce qu’elle veut pour six mois et qui s’endette au jour le jour. One peut avoir et ne pas avoir.
Le citoyen, bon père de famille, trouvera cela incroyable. Comment avoir un milliard de dollars en réserve et emprunter ! Donc si l’Etat emprunte c’est que les caisses sont vides ! Logique. Puisque ce milliard, il n’est même pas à la Banque centrale de Mauritanie mais déposé quelque part entre la Reserve fédérale et la Banque de France. Donc imperceptible.
Et c’est la raison pour laquelle l’argumentaire des réserves de change pour justifier que la caisse de l’Etat n’est pas vide n’est pas pertinent.  On ne peut expliquer que l’on a de l’argent et qu’on ne l’a pas.
D’où le caractère désaxé de l’argumentaire de la conférence précitée. On ne peut utiliser un argumentaire inadéquat (niveau des réserves de change), pour justifier l’Etat des finances publiques mauritaniennes ; en tout cas pas au niveau de la perception immédiate de ce que le citoyen peut en avoir (paiement des salaires…)
Les devises étant précieuses pour l’achat de biens et services de l’étranger, l’Etat les conserve à l’extérieur.  Elles sont constitutives de réserves. Elles proviennent d’opérations avec l’étranger (revenus des exportations de l’Etat mais aussi d’agents économiques exportateurs). Si l’Etat veut dépenser à l’intérieur, notamment en monnaie nationale, il utilise les instruments de ponction de la monnaie en circulation, dont les bons du Trésor. 
Ainsi, si les caisses de l’Etat appellent souvent une alimentation par bons du Trésor c’est pour faire face à la période de « soudure » due à la non concomitance entre le besoin de dépense publique et l’entrée de la recette publique dans les caisses du Trésor (compte du Trésor à la Banque Centrale).
En définitive, la caisse de l’Etat si elle peut être  vide, elle ne l’est que temporairement. 
L’Etat disposant toujours de son droit régalien d’emprunter même de manière forcée. L’Etat est rappelons-le seul agent économique qui peut dépenser ce qu’il n’a pas, car contrairement aux autres agents économiques (qui doivent provisionner/gager/hypothéquer des titres ou des biens meubles et immeubles), l’Etat se garantit par… son existence. Bien entendu, il y a derrière cela toute la mécanique de tenue du registre de la dette, celle des engagements nationaux et internationaux de l’Etat par la BCM, le Trésor Public et les services du ministère des finances sans compter les institutions financières internationales.
Sans préjuger de l’état des finances publiques pour 2019, il convient de remarquer que celles de 2018, notamment les opérations financières de l’Etat, ont été marquées « par une progression des recettes budgétaires et une maitrise des dépenses publiques. Avec un total de MRU  56,7 milliards en 2018, les recettes budgétaires ont connu une augmentation de 15% par rapport à 2017, essentiellement liée à la hausse des recettes fiscales de 12,1%. S’agissant des dépenses publiques, elles sont passées de MRU 49,4 milliards en 2017 à MRU 50,6 milliards en 2018, soit un léger accroissement de 2,5%. Ainsi, le solde global a enregistré un excédent de MRU 6,1 milliards, soit 3,3% du PIB contre un déficit global de MRU 0,1 milliard en 2017 représentant 0,1% du PIB. » (Rapport Annuel de la BCM 2018)

Alors où se trouve le problème ? Plusieurs problèmes subsistent.

L’INFORMATION ET LA TRANSPARENCE

L’un des problèmes essentiels réside dans la transparence et l’information du public. Le laxisme dans les institutions de Contrôle des finances publiques. La chambre des députés (et dans le passé le Sénat) est en carence en terme de contrôle, la Cour des comptes est invisible et l’Inspection Générale d’Etat, est en veilleuse.
Ainsi face à l’absence d’audit et de contrôle de l’administration financière et des organismes de gestion des finances publiques, ces dernières sont depuis des décennies une chasse gardée du ministère des finances.  Et le citoyen s’interroge, sur la destination de ses ressources nationales.
L’émission des bons du Trésor de ce mois d’Août, n’est qu’un catalyseur de ce besoin d’information face à un régime qui a géré les finances publiques depuis des décennies de façon souvent opaques et qui lève le camp, sans subir ni audit ni contrôle sur sa gestion de laquelle il doit, et demeure, redevable à l’égard du peuple.
LES PERFORMANCES DANS LA PERCEPTION DES RESSOURCES PROPRES DE L’ETAT
Mais que peut fournir comme information réelle cette émission de bons du Trésor au-delà de sa légalité?
L’émission accélérée et très rapprochées en jours d’une émission à l’autre des bons du Trésor fait apparaître l’impérieuse nécessité de dynamiser et de renforcer les moyens (humains et techniques) dont dispose le Trésor public et les services fiscaux pour mobiliser à temps et en moyens, les ressources qui lui sont dues auprès des contribuables et qui sont particulièrement celles constitutives de « recettes propres de l’Etat » (impôts notamment).
A cela doit participer aussi une réelle politique de perception de l’impôt vis-à-vis des redevables d’impôts. La complaisance, le copinage, les passe-droits, le trafic d’influence, l’absence de rigueur dans le contrôle des impôts, les exonérations indues, les amnisties et le laxisme dans les poursuites pour le recouvrement des impôts constituent autant de manque à recouvrer pour le Trésor public. Les bons du Trésor sont alors l’instrument de ce dernier pour mobiliser un « fond de roulement » pour les dépenses ordinaires et courantes.

L’ALOURDISSEMENT DES DETTES DE L’ETAT

Chaque émission génère une dette à l’égard de l’Etat au profit des tiers et qu’il doit honorer à échéance fixe compte tenu des délais impartis, elle participe à l’alourdissement des créances de l’Etat (en émission, en gestion, et en intérêts).
Ainsi, l’encours des bons du Trésor est passé de 5,37 milliards d’ouguiyas (MRU) en 2017 à 5,45 milliards d’ouguiyas (MRU) au 31 décembre 2018.
Si l’on se devait d’épingler l’Etat ce n’est pas sur l’émission des bons du Trésor mais sur son incapacité à honorer ses créances. Ainsi, ironiquement, la Banque Centrale émet continuellement les bons du Trésor et pourtant l’Etat est incapable de lui rembourser les créances qu’elle lui doit sur l’émission et la gestion de ces bons du Trésor.
Nous avions consacré ici-même tout un article sur la requête faite par le ministre des finances aux députés, l’année dernière, d’éponger quasiment 190 Milliards d’ouguiya que l’Etat doit à la Banque Centrale de Mauritanie.
En effet, l’analyse de la dette de l’Etat auprès de la Banque centrale (impayés échus sur la gestion des bons du Trésor etc.) montre qu’elle est faramineuse et qu’elle progresse d’année en année ! Avec une inertie réelle de l’Etat pour rembourser certaines créances (152.970.598.502,30 UM) ou à régulariser d’autres (36.929.463.764,56 UM). Elles se situaient en 2017, à 215.011.269.000 (plus de 215 milliards d’ouguiyas) contre 206.499.148 163,27 en 2016 soit une progression de 8 milliards et demi d’UM, en 2017.
C’est ce montant dû par la BCM à l’Etat que le ministre de l’économie et des finances a voulu, il y a quelques mois, faire éponger par le Parlement : soit exactement 189.900.062.266,86UM (quasiment 190 milliards d’UM).
Ce chiffre est la somme des créances de l’Etat suivantes (hors chèques postaux et allocations DTS BCM-Etat) :
- Créances sur l'Etat à régulariser (36 929 463 764,56)
-  Créances / l'Etat convention 2013 (152 970 598 502,30)
Ce dernier montant est issu de La convention signée entre l’Etat et la BCM le 30 décembre 2013 portant consolidation de diverses facilitées accordées par la BCM à des entreprises publiques bénéficiant d’une garantie de l’Etat.  Ce montant de plus de 152 milliards d’UM figure encore en 2017 aux créances de l’Etat pour le même libellé 6 ans plus tard ! Montrant ainsi le laxisme caractérisant la gestion des créances publiques. Car si la BCM a accordé les facilités aux entreprises publiques se chiffrant en milliards c’est bien parce que l’Etat en était garant. Or nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et encore moins de sa mauvaise gestion des biens de la collectivité nationale.
Donc une preuve manifeste que si les caisses se vident c’est bien dû à la mauvaise gestion des finances de l’Etat, pour lequel la BCM n’est vache à lait.

OU SE TROUVE LA VERITABLE DILAPIDATION DES BIENS PUBLICS?

Où chercher alors la véritable dilapidation des biens publics, les détournements des ressources nationales ?  Pas dans le processus d’émissions de bons du Trésor. Car ce processus est neutre et ne correspond qu’à une procédure de gestion d’une émission règlementée mise en œuvre par la BCM, à la demande de l’État au profit du Trésor. Son montant et ses modalités sont définies.
Il faut donc chercher en AVAL (gestion Courante des finances publiques) et non pas en AMONT (financement du Trésor public), le mal qui ronge les finances publiques mauritaniennes.
Ainsi, la question n’est pas à poser en amont sur le pourquoi de l’émission des bons du Trésor, ou sur quels montants porte l’émission, mais plutôt en aval, sur la destination de ces fonds, leur affectation, leur gestion et les bénéficiaires de la dépense budgétaire effectuée sur ces fonds collectés en amont. Et c’est là où le bât blesse.
C’est au niveau de la gestion des ressources publiques que se met en marche la machine qui réduit les ressources publiques et met à mal le développement du pays.
Des sommes faramineuses disparues dans des projets et transactions douteuses, à l’effet multiplicateur des sommes cumulées à travers le fractionnement en lots des marchés publics et les surévaluations dans l’achat par l’administration publique de biens et de services et qui prennent leur source dans des conflits d’intérêt, de connivences et des réseaux d’entente concertée avec bénéfices partagés dans leur acquisition.
 A ce qui est criminel et pénalement sanctionnable (détournement, concussion, malversation trafic d’influence, népotisme et corruption), s’ajoute le mal de la gestion ordinaire des ressources publiques par l’administration publique elle-même.
En effet, s’il y a un gouffre imperceptible et qui absorbe les finances publiques de façon dramatique, c’est l’incompétence d’une frange importante de l’administration publique, son manque d’efficacité et d’efficience.
L’Administration mauritanienne, ne gère pas ses ressources (humaines, matérielles et financières) suivant les techniques managériales moderne, ni même avec leur esprit. Tout ordonnateur public dépense tant qu’il le peut pourvu que son budget le lui permet, il ne se soucie que de la simple régularité de ses actes en l’absence de toute vision de gestion optimale des ressources. Il ne s’intéresse ni à l’opportunité de la dépense, ni à son efficacité, son efficience ou sa pertinence. Et la dilapidation des ressources publiques vient justement de là, générant ainsi la pauvreté et le sous-développement, alors que l’Etat doit être le moteur du développement.
Les finances publiques sont dilapidées pour une grande part dans le financement d’une administration publique inefficace dont la valeur ajoutée à l’économie (marchande et non marchande) laisse à désirer.
Alors en Aval l’Etat utilise les ressources issues de tant de ressources (internes et externes) dont participent à leur mobilisation les bons du Trésor, pour financer en Aval, l’improductif, l’inefficient et l’inefficace, une administration publique qui ne participe pas au développement mais qui absorbe, sans contrepartie pour la collectivité nationale, ses richesses.
La fréquence donc d’émission des bons du Trésor (et autres titres de créance) et leurs montants ne sont que le reflet de cet interminable besoin de financement d’un Etat qui a défaut de prendre les mesures pour juguler les maux, surtout humains qui minent ses finances publiques, végétera dans le sous-développement.
Et qu’elles que soient les richesses dont il dispose, il aura toujours…les caisses vides.
Pr ELY Mustapha

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