La Démocratie « opium du peuple »
Les révolutionnaires de 1789 le savaient déjà : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation ». Et pourtant 222 ans après, nos Etats sont induits en erreur par une pseudo-souveraineté qu’ils pensent détenir parce que justement ce sont des « Etats ».
Toute l’erreur est là. Une erreur entretenue par la communauté internationale qui voit les Etats à travers la définition qu’en donne le droit international entrainant une confusion manifeste entre l’Etat qu’elle reconnait, un collectif d’âmes (I) et une coquille vide, sans âme puisque sans nation (II) et par la même un terroir où la Démocratie à défaut de servir une nation, sert une poignée d’individus constituée en Etat (III).
I- L’Etat dans le droit international : la nation ignorée.
L’Etat se définissant en Droit international par le territoire, la population, le gouvernement et la souveraineté est la pierre angulaire de toutes les relations internationales autours desquelles la communauté internationale tisse son tissu de reconnaissances, d’appuis, d’aides, d’interventions (militaire et humanitaire). Et ce à travers ses regroupements à formes multiples- universelle (ONU), continentales (UA, OEA…), régionales (UE…) - qui justifient les actes d’Etats puissants qui y trouvent les cadres légaux de leur action (salvatrice ou hégémonique) qu’ils modulent en s’appuyant justement sur ceux qu’ils mettent à contribution aux sein de ces instances au nom de leur statut « d’ Etat », les pays du Tiers-monde.
S’il ne fait pas de doute que l’existence de l’Etat a permis d’aboutir aux indépendances, de circonscrire les conflits à travers les notions de souveraineté nationale, d’intégrité des frontières succédanés du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de leur souveraineté sur leur ressources naturelles, de susciter la coopération internationale etc. il n’en demeure pas moins que l’Etat est devenu aujourd’hui un puissant moyen d’assujettissement des peuples avec la bénédiction de la Communauté internationale et les tractations fort intéressées d’un bon nombre d’Etats ex-puissances coloniales (le cas de la ‘’ Françafrique’’, n’est plus à citer).
Si Le droit international a érigé l’Etat en sujet, lui affectant tous les attributs de la personnalité morale, il est par contre devenu, un prisme déformant des réalités des peuples et constitue même le justificatif que s’érige la communauté internationale pour entretenir et entériner des gouvernements dictatoriaux et despotiques. Alors que ce ne sont que des gouvernements qui se sont entourés d’une légalité usurpée (souvent avec l’appui de la communauté internationale) et d’une légitimé forcée et violente (coups d’Etats notamment).
Le récent exemple est le coup d’Etat de Mohamed Ould Abdel Aziz contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Président de la république démocratiquement élu . Et qu’est-il advenu du Putschiste ? Il est devenu Président de la République. Alors que la charte africaine « de la Démocratie, des élections et de la gouvernance » du 30 Janvier 2007 mentionne bien en son article 23 :
« Les Etats parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union:
1. Tout putsch ou coup d’Etat contre un gouvernement démocratiquement élu. (…) »
Où sont aujourd’hui les sanctions qui ont été « prononcées »au lendemain du Coup d’Etat en Mauritanie (suspension de la participation à l’Union Africaine et à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), restriction de voyage d’officiels membres ou proches de la junte par les Etats-Unis etc…) ? Rien. Oubliées.
C’est autant dire que dans les relations internationales, tout autant qu’il ne tuent pas, l’entêtement (du délinquant usurpateur de pouvoir) et l’intéressement (de la communauté internationale) sont payants. Non seulement le putschiste mauritanien s’est fait élire mais il est devenu quelques mois plus tard le chef d’un panel de chef d’Etat africains et l’émissaire de l’UA pour des offices de paix en Afrique (Côte d’ivoire, Libye). C’est ce que la charte de l’UA appelle : « passible de sanctions appropriées de la part de l’Union ».
De la Guinée au Niger, les exemples sont nombreux mais ce qui préoccupe davantage ce n’est pas qu’un putschiste ait fait son putsch, ce qui préoccupe c’est qu’il se dissimile sous le couvert des attributs internationaux de l’Etat pour se protéger et s’en servir comme bouclier pour continuer son forfait c’est-à-dire terroriser le peuple qui finit par se soumettre et accepter son dictat. Le putschiste utilisant tous les moyens que lui offre l’Etat à l’interne (vidage du trésor public pour soudoyer, coercition armée et policière) et à l’externe (utilisation de la mécanique diplomatique et des institutions de l’Etat commerciales et financières) pour forcer la reconnaissance de son régime
Le putschiste usant et abusant de la « souveraineté » de l’Etat travaille le peuple “au corps” pour en extraire une légalité que ce dernier, las et trahi, finit par accepter. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, le bouclier constitué par les attributs internationaux de l’Etat est le premier ennemi de la Démocratie.
Mais si l’Etat est le creuset des violences qui sont faites au peuple, il n’en demeure pas moins qu’il est extrêmement dangereux de remettre en cause les attributs de l’Etat (territoire, population, gouvernement, souveraineté) avec ce que cela peut entrainer comme incertitudes, conflits et drames. Cependant (et malheureusement), cette définition que donne le Droit international de l’Etat est aussi utile à la préservation de l’intégrité des Etats qu’elle peut servir les intérêts des antidémocrates.
Le contrepoids à cette situation ne peut être que la « Nation ». C’est le seul contrepoids aux dérives de l’Etat et à ceux qui se saisissent un jour de ses rênes. La démesure de l’Etat ne peut trouver un frein que dans l’existence d’une Nation.
Or le droit international dans sa positivité n’a pas retenu, dans sa définition de l’Etat, le concept de « nation ». Et Il n y a pas même pas de définition juridique de « nation », le droit international se référant à la notion « d’Etat » et souvent à la notion de « peuple ». Cette dernière plus neutre a supplanté celle de nation plus subjective et moins saisissable. Ainsi, le Préambule de la Charte des Nations Unies exprime les idéaux et les buts communs de tous les peuples dont les gouvernements se sont réunis pour former l'Organisation des Nations Unies.
Ainsi, la charte de l'ONU traite des « des États Membres » et fixe « leurs droits et obligations ». Elle ne se réfère pas au concept de « nation. ». L’Etat est devenu pour l’ensemble des organisations internationales le sujet et l’objet de leur intervention et le critère de compétence de leurs organes juridictionnels.
La présence de l’Etat et cette absence manifeste de la référence à la « Nation » fait qu’il y a un « chainon » manquant dans l’appréciation qui peut être faite de la Démocratie. Celle-ci est alors faussée du fait de son rattachement exclusif à l’Etat et à travers lui au peuple, alors qu’elle ne peut être une réalité que si elle en est détachée et rattachée à la « Nation ».
II- Un peuple sans nation : la démocratie impossible
La fameuse définition de la Démocratie, « le gouvernement du peuple par le peuple » se doit d’être revue et corrigée. Elle est basée, à notre avis, sur un concept qui en fausse la portée même : le peuple.
Curieusement le rattachement de la gouvernance au peuple datant des Grecs a justement entrainé la confiscation de la Démocratie au nom du peuple. Il convient aujourd’hui de l’en détacher pour qu’il y ait une véritable gouvernance ou tout au moins pour que la gouvernance puisse être réellement être appréciée. Et cela en privilégiant la notion de « Nation » à celle de « peuple », tout au moins en ce qui concerne la gouvernance.
La Démocratie, n’existe que s’il y a une nation. L’existence du peuple n’est pas le véritable moteur de la Démocratie. Or il peut exister un peuple sans être une nation alors que l’inverse n’est pas vrai.
Mais pourquoi doit-on rattacher la Démocratie à la Nation et non au peuple ?
Du constat que la Démocratie reste un vœu pieu des peuples malgré l’avènement des Etats africains à l’indépendance, pour ne retenir que ceux-là, il convient désormais de la rattacher à un concept plus explicatif de son inexistence. Si la démocratie se faisait simplement par le peuple, elle se serait instaurée depuis longtemps. Or il est évident que ce n’est pas le peuple qui en est le moteur mais la nation.
Ceci s’explique par le fait que le « peuple » constitué d’un ensemble d’individus vivant sur un territoire, ne peut être un élément moteur de la démocratie que s’il est uni, solidaire et lié par une histoire et un avenir communs. En somme, un peuple dont les différences ethniques, raciales, tribales et régionales ont été « gommées » ou fortement réduites au profit d’une cohésion nationale. En somme l’instauration d’une nation.
En effet seul l’appartenance à une « nation » génère une prise de conscience d’une identité nationale opposable à l’Etat et à son hégémonie.
C’est la raison pour laquelle les Etats africains n’ayant pas construit des nations continuent à dominer des peuples qui, non constitués en nations, sont divisés ethniquement, tribalement et claniquement.
Et l’Etat continue à instrumentaliser le « peuple » dans ses différentes composantes pour arriver aux fins que l’on connait. Car sans être une nation, le peuple n’a pas de poids politique et ne constitue pas une force. En somme il n’est pas une « entité politique »
On comprend donc que la « démocratie » doit, pour embrasser les réalités de nos pays sans nations, être étymologiquement revue pour se référer à la « nation » et non au peuple.
Il convient ici de mentionner qu’il ne s’agit pas ici de lier la démocratie au concept de « nationalisme » primaire , impérialiste, chauviniste et de domination d’une classe ou d’une idéologie politique quelconque, mais de nationalisme au sens d’une appartenance à un communauté humaine ayant une identité historique, , linguistique , culturelle ou religieuse.
C’est sur ce concept de nation que se sont bâties les démocraties occidentales. Une nation, qui a transcendé les divisions régionales, tribales, ethniques pour rassembler toutes les franges toute la communauté humaine constitutive du peuple. Ainsi, il y a des peuples breton, normand, corse, basque etc. Mais il y a une Nation française. Une nation qui a forgé ses liens et sa solidarité à travers les hautes luttes historiques du peuple et ses représentants contre les régimes arbitraires et dictatoriaux qu’ils soient monarchiques ou républicains. La nation, force immatérielle est le rempart de la démocratie, dont le peuple n’est que l’expression physique.
III- L’Etat sans nation : la démocratie « opium » du peuple
Pour emprunter à Karl Marx[1] cette expression, et en l’appliquant à la Démocratie telle qu’actuellement prônée dans nos pays en développement, cette dernière est sans conteste un véritable « opium » du peuple.
En effet, lorsque l’on essaye d’introduire la démocratie dans un pays où le peuple ne s’est pas encore constitué en nation, on est en face non pas d’une collectivité humaine unie autours d’idéaux, de vision nationale, en somme une entité politique, mais de collectivités humaines éparses se regroupant en tribus, ethnies, castes. Cette situation est non seulement défavorable pour la démocratie mais elle sert les intérêts du pouvoir en place qui va jouer sur les sensibilités ethniques, tribales et claniques, sur les ressources économiques et financières à distribuer pour s’acquérir les faveurs (vote, soutien) des uns et des autres. Ce « peuple » est malléable et corvéable à merci, sans cohésion, sans solidarité et sans vision commune.
Les peuples africains, notamment, sont encore à ce stade. Ils peuplent les Etats mais ne sont pas encore des nations. L’appartenance à la caste, à l’ethnie ou à la tribu est beaucoup plus forte que l’allégeance à l’Etat et l’identification à une nation. La « démocratie » est alors un justificatif pour continuer à maintenir les gouvernants en place. Car de Démocratie il n’y en a pas, puisque chaque tribu, chaque clan, chaque ethnie monnaye sa participation et son vote au mieux de ses intérêts financiers. Si l’on ajoute à cela la pauvreté des populations, on comprend la dimension de « l’erreur » démocratique.
Cette situation fort commode pour les régimes africains explique pourquoi depuis l’indépendance, les Etats africains ne se sont pas investis dans la construction des nations mais dans le maintien du statu quo racial, tribal et ethnique.
En obtenant leur indépendance, les Etats ont cru qu’il suffisait d’être “Etat” pour que la Démocratie puisse s’instaurer. Or l’Etat peut être le pire ennemi de la Démocratie et le peuple sans nation son meilleur allié. C’est ainsi que les peuples africains ont été drogués aux slogans démocratiques et sevrés aux urnes bourrées. Et dans leurs divisions autoentretenues, la démocratie est un puissant hallucinogène.
Les Etats et autres organisations internationales, appuyant souvent, à travers leurs institutions de financement, les élections « démocratiques » commettent l’erreur de croire que la Démocratie peut exister ou perdurer dans des pays où la nation n’existe pas. La démocratie ne s’instaure pas par le vote du peuple, mais par le vote de la nation. Le vote du premier, en Afrique, c’est le vote du pauvre dont le vote est aliéné, c’est le vote du votant ethnicisé, c’est le vote du parti pris, souvent le parti au pouvoir en place car dans la division et par ses moyens il règne. Par contre, le vote de la seconde, la nation, est le vote d’un citoyen acquis au devenir de sa nation, d’un citoyen solidaire et conscient de l’importance de son geste pour la communauté nationale tout entière à laquelle il sent son appartenance. C’est le vote de la Nation qui soumet l’Etat à la volonté du peuple , ce n’est pas le vote du peuple qui soumet l’Etat à la volonté de la nation.
C’est la raison pour laquelle tout investissement national ou international dans l’instauration de la Gouvernance démocratique se doit avant d’être un investissement dans des urnes, d’être un investissement dans le renforcement des nations. Aider un peuple donné d’un Etat donné à connaitre et développer sa culture, son histoire, à renforcer sa solidarité et à éliminer les barrières et les discriminations entre ses composantes.
C’est là une mission que les Etats africains ont failli à remplir et c’est de cette faillite à construire leurs nations que résultent tous les drames politiques et sociaux qui secouent ces pays.
Le peuple divisé, se méconnaissant lui-même dans ses franges et ses ethnies, est étranger à lui-même. Le cas de la Mauritanie en est un exemple fort illustratif puisque le dernier recensement de la population a montré l’inexistence d’une Nation et l’existence d’un peuple divisé (voir ici : La nationalité sans Nation[2] ). Raison pour laquelle toute volonté d’instauration de la Démocratie est vaine.
En conclusion
Pour établir la « démocratie », il faut la lier à la Nation et non au Peuple.
Nous pensons que l’étymologie même du mot « Démocratie » ( « le gouvernement du peuple par le peuple) » doit changer et être remplacée par des expressions politiquement plus justes. Ainsi nous proposerions la « Natiocratie » (« le gouvernement de la Nation par elle-même ») puisque, comme démontré, sans Nation il n y a pas de démocratie. Cependant la consonance très « nationaliste » pouvant prêter à confusion, aussi préférions-nous le terme « Ethnocratie », mais dans le sens de « l’Ethnos » grec.
Les grecs n’avaient pas de mot spécifique pour désigner la nation mais ils utilisaient le terme « ethnos » (έθνος) qui désignait un « ensemble homogène ». Il est convenu que ce terme “est utilisé actuellement dans la langue parlée comme équivalent du terme « nation »[3]
Aussi à la Démocratie - du grec dêmos (peuple), et kratos ( pouvoir/autorité)-, nous proposons de substituer le terme « Ethnocratie » - du grec Ethnos (ensemble homogène/nation) et Kratos ( pouvoir/autorité).
En définitive, nous dirons que le peuple réclame la « Démocratie », mais il ne saura l’obtenir sans être d’abord une Nation. Car la démocratie n’existe que pour l’intérêt de l’Etat, seule l’Ethnocratie existe dans l’intérêt du peuple.
« Toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation » ; on l’a dit il y a 222 ans déjà !
N’est pas révolutionnaire qui veut; mais, curieusement, c’est dans les révolutions que naissent les nations. Suivez mon regard.
Pr ELY Mustapha
[1] "La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit des conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple." (Karl Marx & Engels, Critique de "La philosophie du droit" de Hegel, 1844)
[2] http://haut-et-fort.blogspot.com/2011/07/la-nationalite-sans-nation.html
[3] Vassilis Gounaris et Yannis Frangopoulos « La quête de la nation grecque moderne et le « cas grec » comme un cas paradoxal de la construction du fait national contemporain » in Revue « Socio-anthropologie » N°s 23-24/2009. L'Anthropologie face au moment historique. p. 115-153
Excellent, précis et juste as usual, machallah. Merci, cher Prof.
RépondreSupprimerMohamed Abdellahi O. Ma'aloum