La Cour des contes
L’ordonnance n° 2007- 006 portant modification de la Loi n° 93.19 du 26 janvier 1993 relative à la Cour des Comptes dispose, dans son article 48, que : « La Cour des comptes remet annuellement au Président de la République un rapport général, dans lequel elle expose ses observations et dégage les enseignements qui peuvent être tirés. »
Toutefois, d’un coup d’Etat à l’autre, la Cour des comptes ne sait plus à qui le remettre; aussi elle procède, elle aussi, par à-coups. Son rapport général pour l’année 2006 vient d’être publié...en 2010.
Ce rapport de la Cour des comptes mauritanienne, comme celui qui la précédé, devrait commencer par « il était une fois… ». Et ajouter en guise de préliminaire : « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »
Ainsi le lecteur serait honnêtement averti et apprécier l’exercice à sa juste valeur. Comme un bon film intitulé « la gestion publique au pays des mille et un nuisibles ». Avec en intro, la fameuse mise en garde de Disiz la Peste : « Toute ressemblance avec des personnes qui se sentiraient visées ne serait que pur hasard. » (Album « Poisson rouge)
Mais à quoi sert vraiment le rapport de la Cour des comptes ? Ce rapport devant faire le compte rendu du contrôle juridictionnel de la Cour des comptes sur les fautes de gestion des ordonnateurs publics et les comptes de gestion des comptables publics (I), présenter la déclaration générale de conformité (II), n’a été en fait qu’un exercice sans grand intérêt avec des observations de « déjà vu » dans le rapport précédent(III), posant la question: ce rapport est-il vraiment utile et la Cour des comptes, elle-même, ne coûte-t-elle pas trop cher au contribuable mauritanien. Et cela pour un résultat peu probant sinon dépourvu d’intérêt tant pour le citoyen que pour les pouvoirs publics ou pour un quelconque contrôle politique, législatif ou juridictionnel sur les justiciables de cette cour (IV).
I- Le jugement des ordonnateurs et comptes des comptables : le déni de justice
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Sur ce plan, la Cour des comptes est dans une situation de carence telle qu’elle l’entraine dans le déni de justice. Son activité juridictionnelle, qui doit être le "fer de lance" de sa mission de « contrôle a posteriori » des finances publiques, est tout simplement inexistante.
La raison en est simple. Aucun comptable primaire ou secondaire ne lui fait parvenir ses comptes (ni ses bordereaux mensuels, ni son compte de gestion annuel).
Son seul vis-à-vis est le Trésorier général, comptable principal . Et même sur sa comptabilité la Cour des Comptes est inefficace car le compte de gestion du Trésorier général, n’est point accompagné des pièces comptables et justificatives prévues par l’arrêté du Ministre des finances n°1195 du 9 Octobre 2002. De même qu’il ne retrace pas les opérations sur ressources de financement extérieur. Soit un document partiel inadapté au contrôle de la régularité des dépenses publiques.
Cette situation d’impossibilité d’un vrai contrôle permettant de sanctionner, a conduit la Cour des comptes à avouer son incapacité à effectuer son contrôle juridictionnel sur ce « seul comptable principal de l’Etat » puisque : « L’application de la réglementation aurait dû conduire à l’établissement de débet d’un montant faramineux (quelques milliards d’ouguiyas) à la charge de l’unique comptable principal de l’Etat. »
Et le juge des comptes s’interdisant ainsi de condamner ce comptable est passible du « déni de justice » qui est l’attitude par laquelle le juge refuse de juger une affaire, alors qu'il est habilité à le faire.
Attitude que la Cour des comptes confirme par elle-même en justifiant cet acte grave de déni de justice par l’impossibilité de recouvrer les fonds publics : « Il est évident, écrit-elle dans son rapport, que le recouvrement de telles sommes serait impossible ce qui ôterait tout intérêt à l’exercice du contrôle juridictionnel. » !
Depuis quand un juge est-il habilité à préjuger de l’exécution de son jugement pour justifier le refus de le prononcer ? Depuis quand rendre la justice est soumis à l’opportunité de juger ?
Si le Trésorier général devait être déclaré en débet sur la base de son compte de gestion et sur les pièces justificatives l’accompagnant, la Cour des comptes se doit de le condamner. Toute attitude contraire est un déni de justice, passible de sanctions, du fait même du statut du juge et de la mission dévolue à la Cour des comptes : « d'engager la responsabilité des personnes en cause , d'obtenir réparation » ( Article 4 de la loi 93-19 di 26 janvier 1993 du portant relative à la Cour des comptes).
Relativement aux ordonnateurs publics, la situation est encore plus inefficace car la Cour, elle-même, déclare son impuissance à réaliser son contrôle en tant qu’institution « ad hoc » de discipline financière et budgétaire du fait , entre autres difficultés, de « l’absence de saisine de la Cour par les autorités auxquelles la loi a conféré ce pouvoir »
En d’autres termes ni le Premier Ministre, ni le ministre des finances, ni aucun ministre n’a jamais saisi, à travers le Commissaire de gouvernement, la Cour des comptes pour faire sanctionner les fonctionnaires et agents relevant de leur autorité.
Or si l’on sait d’après la loi, que sont passibles de sanctions pour faute de gestion : les fonctionnaires et agents de l'état ou de tout autre organisme public ; les représentants, administrateurs et agents de tout organisme soumis au contrôle de la cour, ou toute personne exerçant de fait leur fonction, on comprend l’ampleur de la couverture de la gabegie par les chefs de département eux-mêmes.
Aussi « La Cour des comptes n’a pu, depuis sa création, exercer cette activité.. »
II- La déclaration générale de conformité : une conformité non conforme.
La Cour des comptes, au lieu de déclarer tout simplement qu’elle ne peut procéder à une déclaration de conformité, s’ingénue quand même à le faire ! Tout en déclarant que cette déclaration de conformité est relative à l’examen de « conformité » de deux documents essentiels : le compte général de l’administration des finances, d’une part, qui doit être tenu par l’administration des finances en l’occurrence le ministre des finances , et le compte du Trésorier général de Mauritanie, d’autre part.
Or, elle déclare texto : « Ces deux documents sont tenus par une seule et même personne » ! En l’occurrence « le Trésorier Général ; ceci en sa double qualité de directeur général du Trésor et de la comptabilité publique » !
Et la Cour de continuer : « Il est évident que lesdits documents ainsi établis sont nécessairement conformes, voire identiques car ils constituent en fait un même document.».
Face à cette situation, la Cour des Comptes considère que l’exercice auquel, elle doit procéder pour le rapprochement de tels documents « , s’il n’est pas vain , comporte au moins une portée ou un intérêt limité(e) »
Or nous l’affirmons à la Cour des comptes , son exercice n’est ni vain, ni à portée (ou intérêt) limité, il est inutile et ne se devait même pas d’être fait !
Lorsqu’une déclaration de conformité se devant nécessairement être issue de deux documents séparés, contradictoires et nécessairement tenus par deux autorités différentes ne remplit pas ces conditions : On ne la fait pas !
On déclare l’irrecevabilité pour vice de forme des documents transmis.
Car une déclaration de conformité ne peut être faite sur un compte unique et sur un document administratif et financier qui viole le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables et de leurs documents budgétaires et comptables respectifs.
Comment une Cour des comptes peut-elle déclarer une conformité de comptes en se suffisant de l’appréciation matérielle des chiffres alors qu’un élément substantiel de la déclaration de conformité est absent ? A savoir l’élément formel qui dicte que les deux comptes soient tenus par des autorités comptables et financières différentes, et qu’ils soient tenus contradictoirement ! Une condition sine qua non de leur valeur financière et comptable probante pour le contrôle et de la validité de la déclaration générale de conformité.
En se livrant à cet exercice la Cour des comptes a violé l’article 68 de la constitution du 20 Juillet 1991 qui prévoit qu’ « une cour des comptes assiste le parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances ». Dans ce cadre une telle déclaration ne peut servir à l’organe législatif, dans sa mission d’autorisation et de contrôle, et même l’induire en erreur.
C’est ainsi aussi quelle viole toutes les dispositions qui imposent à la Cour des Comptes , une déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et le compte général de l’administration des finances. Notamment : la loi 78.011 du 19 Janvier 1978 portant loi organique relative aux lois de finances , l’ordonnance 89 012 du 23 janvier 1989 portant Règlement Général de la Comptabilité Publique telle que modifiée en 2006, la loi 93.19 du 26 Janvier 1993 relative à la Cour des Comptes.
En effet, le simple constat de la Confusion des autorités et des documents devait dicter à la Cour des comptes de « surseoir », à faire une telle déclaration de conformité.
Elle devait tout au contraire déclarer l’irrecevabilité des deux documents tenus par une même et unique personne au nom de leur caractère non contradictoire et au nom de la mission qui lui est assignée.
III- Les mêmes pratiques malsaines d’une gestion sur l’autre :un air de déjà vu.
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La Cour des comptes comme dans son rapport précédent de l’année 2005, que l’on a eu à commenter en 2007 (lire l’article ici ) mentionne toujours les pratiques malsaines dans la gestion des ressources publiques. Il est certain que cette partie de son rapport restera inamovible et qu’on la retrouvera dans tous les rapports de la Cour des comptes pour un siècle encore.
Voici, (outre le non respect des procédures des dépenses publiques, du recouvrement des recettes publiques, de l’exercice de fonctions incompatibles de la violation du code des marchés publics etc.) :
- la valse des dépenses irrégulières coûtant des milliards à l’Etat,
-les dépassement de crédit, creusant les déficits,
- les lettres de débit automatique, une pratique hors-la-loi ,entrainant la gestion et l’accaparation irrégulière des deniers publics hors toute prescription réglementaire
- la non comptabilisation de valeurs (qui ne figurent donc pas dans le compte de gestion examiné) consacrant le pouvoir discrétionnaire de leur dilapidation, etc.
Le terrain de jeu prédilection des autorités publiques au pays des mille et un nuisibles.
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IV- L a Cour des comptes : l' intérêt « pédagogique » d’une institution ignorée.
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Le rapport de la Cour des comptes n'est pas vain. Il a un intérêt pédagogique : révéler de temps à autre qu’il y a une institution, ignorée de tous, qui travaille en silence, qui a un budget et qui publie un rapport. Mais que « sachant que son rapport n’intéressera personne et que les personnes qu’il accuse ne sont plus là (ou l’ignorent royalement) , que les documents administratifs, comptables et financiers sur lesquels il est établi n’ont aucune valeur probante, il est quand même publié, aux frais des Allemands, pour dire que quand même la Cour existe . »
Tant mieux, diront certains. Ce ne sera pas l’unique institution constitutionnelle mauritanienne qui tourne à vide. Mais ce qui caractérise la Cour des comptes, c’est de dénoncer et de juger les comptes des comptables publics, de déclarer la conformité du compte général de l’administration publique avec le compte du trésorier général de Mauritanie, de sanctionner les fautes de gestion et ultime mission confectionner un rapport sur la gestion des deniers publics.Beaucoup de travail.
Mais à voir son rapport 2006, aucune de ces fonctions n’est réalisée. On y trouve une appréciation empirique de la gestion de certains services, une déclaration de conformité non conforme, et une absence totale du contrôle juridictionnel des ordonnateurs et des comptables publics (voir plus haut).
D’autre part, c’est une institution ignorée par les pouvoirs publics et cela jusque dans sa consultation à propos des documents qui la concernent!
Elle note dans son rapport que , comme toujours : « des textes importants relatifs aux finances publiques ont été, soit modifiés, soit nouvellement adoptés ou en cours d’élaboration, sans qu’elle soit consultée afin de lui permettre de formuler éventuellement son avis avant leurs adoptions définitives conformément aux dispositions de la loi 93-19 du 26 Janvier 1993 relative à la cour des Comptes.
Parmi ces textes, il peut être cité notamment l’ordonnance 89.012 portant règlement général de la comptabilité publique qui a été modifiée plusieurs fois ainsi que le décret sur le contrôle financier et le nouveau plan comptable de l’Etat… Il en est de même des arrêtés relatifs aux nouveaux receveurs d’administrations financières et de la loi organique relative aux lois de finances que le Ministère des finances envisagerait de modifier.
Dans ce cadre, la Cour des Comptes invite le Ministère des finances au respect des dispositions de l’article 5 de loi 93-19 relatives à la cour des compte qui dispose que : « La Cour des Comptes émet un avis consultatif sur les projets de textes relatifs à l’organisation et au contrôle des finances publiques. »
Cette attitude des pouvoirs publics n’est en fait que l’expression la plus apparente de l’importance dans laquelle les pouvoirs publics placent la Cour des comptes. Une institution redondante au « pays des mille et un nuisibles ».
D’ailleurs l’administration du Ministère des finances, ne fait pas de « la mise en état d’examen » des comptes de gestion des comptables publics une de ses priorités, empêchant ainsi la Cour des comptes d’exercer son contrôle juridictionnel.
Que coûte son rapport, qu’aucune autorité publique ne lit ni n’exécute, au contribuable ?
Si on comptabilise les budgets consommés par cette Cour pour son fonctionnement depuis sa création, cela justifie-t-il deux rapports à intérêts pédagogique ?
En définitive, on le sait, la Cour des Comptes (« tribunal des comptes d’autrefois ») , a été créée dans un élan de « séduction » du FMI et, à travers lui, du groupe de Bretton woods.
C’était du temps de la cogitation autour Programme d’ajustement structurel et ce qu’il fallait en tirer en DTS. Cela s’était inscrit dans les sillages du Programme de consolidation et de relance (PCR) , succédané du PREF, tous morts et enterrés dans l’artifice des PIP et autres plans tirés sur la comète !
Les temps ont changé et la Cour des comptes ressemble à une institution hors du temps. Une Cour des contes au pays des mille et un nuisibles. Mais qui s'en rend compte tous comptes faits?
Pr ELY Mustapha
Ye bouya allah la yeguel ak anne!
RépondreSupprimerVraiment c'est patriotique ce que tu fais. Continue, tu nous aide beaucoup dans ce pays.
Bravo Prof. C'est comme pour le rappport d'audit du machin sur la transparence sur les industries extractives: du vide et du faux de la première page à la dernière. Quand je serai président, je ferai appel à vous à la cour des compte ou à l'IGE. Promi, mais vous voterez pour moi. Sauf si vous ne serez pas candidat, auquel cas vous gagnerez et vous nous promettrez de laisser la cour des comptes et l'IGE independants et sous le Senat ou l'assemblee nationale. Mes respects. A-
RépondreSupprimerC'est une bonne analyse, mais il faut ajouter des propositions pour permettre à cet organe constitutionnel de jouer son rôel pleinement. C'est de la responsabilité, en premier lieu, des gouvernants (Présidents de la république) que la CCM n'arrive pas à faire son voulôt correctement.
RépondreSupprimerLerci Prof
Tout comme la cour des comptes l'Inspection générale des contes coûte à l'Etat les prunelles des yeux, une mesure rationnelle serait de fusionner les deux institutions des contes dans une seule après avoir nettoyé l'une et l’autre des mauvais conteurs.
RépondreSupprimerTout comme la cour des comptes l'Inspection générale des contes coûte à l'Etat les prunelles des yeux, une mesure rationnelle serait de fusionner les deux institutions des contes dans une seule après avoir nettoyé l'une et l’autre des mauvais conteurs.
RépondreSupprimerYellali mevsalna vik!!!
RépondreSupprimerAllah ye3melne n'temou 3almine bic.
Merci, Prof pour cette analyse profonde pour notre cour des contes, pardon comptes bilval!!! Mais cher Prof, on a souffert de votre absence, il ne faut pas nous oublier.
A-, je suis prenante et volontaire dans votre campagne présidentielle, ila 3adtou lahi traj3oune notre prof et nos autres talents nationaux.
Citoyenne
prof
RépondreSupprimerc'est le gouvernement qui empeche la cour des comptes de travailler ,préferant une inspection pleine des inspecteurs bien payés par le contribuable mauritanien nommés sur fond de complaisance politique lors des campangnes politiques.