lundi 25 novembre 2019

Comprendre Aziz : Ego et Alter ego, Gaz et Ghazouani.


 

Tout ce qui façonne l’homme, sa force, sa dignité et sa gloire se retrouve dans la dialectique d’un « ego » (la représentation et la conscience que l'on a de soi-même) et d’un « alter ego » (personne à qui l'on donne toute sa confiance).

Les comportements de chaque individu sont à l’image de ce qu’il veut être et de ce que les autres veulent qu’il soit. Lorsque ces personnes emportent toute la confiance alors l’ego tend vers l’alter ego. Lorsque cette confiance brusquement se rompt, alors l’ego se détache de son alter ego. La crise nait alors de cette rupture. Chez certains elle et passive (repliement sur soi) chez d’autres , elle est réactive (actes violents, physiques ou verbaux).

Rappelons-nous, depuis les élections de 2007, qui ont conduit à l’élection d’un président de la République, toute la dynamique qui a secoué l’espace politique mauritanien s’explique par la dialectique entre l’ego d’un général et son alter ego, ce président, qu’il a soutenu et auquel il a fait confiance. Et dans cette relation, l’alter ego n’avait pas le choix des armes.


I- Le général bafoué : L’éviction de l’alter ego.


Lorsqu’un militaire fait deux coups d’Etat successifs et qu’il monte en grade , l’on ne peut que se réduire à l’évidence : les coups d’Etat sont devenus pour lui un acte normal. Une forme de bonne gouvernance. Mieux, encore un acte hautement gratifiant.

Devenu général après le premier coup d’Etat, il devint chef d’Etat après le second. Il a pris le pli d’un acte qu’il ne juge même pas répréhensible, car le coup d’Etat est devenu dans la pratique politique mauritanienne, un usage au sens où l’entendraient les juristes: une pratique répétée qui entraine la conviction de son caractère obligatoire.


En effet on décompte plus d’une dizaine de coups d’Etat depuis 1978, et tous ceux qui les ont commis sont devenus des chefs d’Etat, des présidents de la République ou au moins député à l’Assemblée nationale. Le seul putschiste qui, avec ses compagnons, fut fusillé, est le colonel Kader, il eût moins de chance que les autres ou plutôt il vînt au mauvais moment, car d’autres ayant raté leurs coups sont aujourd’hui des élus du peuple.

Le général Ould Abdel Aziz, agit donc bien dans la droite ligne de ceux qui l’ont précédé et qui ont fait des coups d’Etat , les voies normales d’accès au pouvoir. Cette légalité dans laquelle il fut pris après l’élection du Président de la République en 2007, se devait de perpétuer son influence et non pas la contrarier. Il avait psychologiquement besoin de continuer à perpétuer une mainmise de l’armée dans le politique qui ne doit pas s’interrompre.

Les espaces de liberté que le président renversé avait pris sonnaient pour lui comme le glas de sa secondarité. Secondarité qu’il ne pouvait pas admettre de celui qu’il a aidé à accéder au pouvoir et qui lui devait tout. Le personnage, le président, son « alter ego » qui devait refléter en tout et pour tout son propre vouloir, lui échappait. Alors le général bafoué, trahi dans ses espoirs de continuer à asseoir son influence à travers le vieil homme décida alors de le déstabiliser. Le « coup d’Etat » armé fut l’ultime recours après que le « coup d’Etat » légal ait échoué.

En effet, le coup d’Etat légal fut celui qui allait à travers, tous les mécanismes partisans (fronde parlementaire) et les menaces institutionnelles ( enquêtes sur la fondation, haute cour de justice pour le président ) déstabiliser le président. Mais les efforts s’épuisèrent sans succès. Et ce qui fut certainement le drame psychologique du général, c’est que face à tous ces mécanismes, le Président de la République restait imperturbable. Le Président clamant que la fondation est « sans reproche », les frondeurs c’est des « trouble-fêtes ».

Et cause donc perdue car le président n’allait pas dissoudre l’Assemblée nationale qui permettrait de renvoyer devant le peuple une majorité qui lui était favorable et recevoir en retour une autre majorité qui le renierait vue son impopularité que les militaires ne manqueraient pas d’amplifier en cas d’élections, le Président n’allait pas accepter non plus une enquête sur la Fondation et il n’y aura donc aucun scandale qui l’éclabousserait, le Président confortait son premier ministre qui battait le ralliement de la majorité qui le soutenait…

Le général voyant le « coup d’Etat » légal piétiner, aurait pu patienter encore et d’avoir le Président par l’usure, les députés et les sénateurs de la fronde venaient , en effet, de déterrer l’argument de la Haute Cour de justice pour « juger » le Président. Mais peu habitué à l’argumentaire et bien porté sur une force à laquelle il s’est habitué, le général trouva alors dans le dernier décret du Président de la République, l’occasion inespérée de le renverser. En bon militaire et se considérant toujours l’égal du Président, il considéra que le décret le limogeant était une violence à son égard à laquelle il ne devait répondre que par la violence. Le naturel revenant comme on le sait au galop.

Psychologiquement, le Général est bien en conformité avec sa conscience. Il ne fait que perpétuer une pratique normale dans la passation des pouvoirs en Mauritanie: les coups d’Etat. Il ne fait, en bon militaire, que rendre coup pour coup ce que le Président lui a fait. En somme, il se devait de gagner au duel. Un duel commencé en Avril 2007.


Fort intéressante expérience de politique mauritanienne qui démontre comment se résout la dialectique de la force (militaire) et celle de la Démocratie (civile), lorsque la force qui a établi la démocratie se fait prendre au piège de la légalité.


II- Le général acclamé : le retour de l’ego


Il est fortement probable que le général ayant eu raison de son « alter ego », avait dans les premiers jours de son geste, l’intention de céder le pouvoir, de s’en éloigner ou tout au moins de revenir à une neutralité militaire. Hélas! C’était sans compter sur le pouvoir maléfique du microcosme politique courtisan mauritanien et sur l’hystérie populaire qui réduit souvent les dirigeants de bonne volonté en dieux de l’Olympe.

La caractéristique de la sphère politique mauritanienne est d’être absolument dénaturée par deux phénomènes qui ont un impact éminemment important sur le détenteur du pouvoir.
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D’abord les cercles courtisans et laudateurs qui très vite réalisent une approche "déïficatrice" et sacralisante du détenteur du pouvoir et lui font croire de façon sournoise mais habile qu’il est le « nombril du monde ». Ces cercles qui ont acquis leurs lettres de « noblesse » sous les régimes précédents, ont développé leurs armes et les ont fourbies pour tirer le meilleur parti de celui qui prendrait légalement ou de force le pouvoir. De ce point de vue, ils ne font pas de distinction, ce qui compte pour eux ce n’est ni les intérêts de la nation ni ceux de l’Etat, c’est de se servir du pouvoir au mieux de leurs intérêts.

Ces cercles comprennent tous les éventails possibles : les intellectuels qui défendent , tout au long des colonnes de journaux ou d’ondes radio et télé, l’indéfendable et qui pertinemment, savent que leur mauvaise foi, à défaut de les tuer pourrait servir leur désir d’ascension auprès de celui qui les écoute; les chefs de tribus qui habitués au négoce de leur soutien au plus fort, à l’encontre des intérêts de leurs membres, se joignent aux laudateurs ; les groupuscules économiques en difficulté qui veulent profiter de la situation pour améliorer leur situation en attirant les faveurs ; les groupuscules sociaux, déçus ou rabroués durant l’ancien régime qui voudraient leur part du pouvoir etc.


En définitive, toute une mécanique laudatrice et courtisane qui rapidement prend d’assaut le pouvoir et qui finit par acquérir son oreille à son chant mielleux et trompeur. Le général, de retour au pays doit certainement être en train d’entendre les fameux « EddarJeu liman ? » et autres « monsieur le Président si vous ne vous présentez pas aux élections on vous attaquera devant la Cour internationale de justice pour non-assistance à peuple en danger… » Etc. etc.


Une formidable machine de dénaturation de l’ego du prétendant au pouvoir, lui renvoyant une image qui très vite lui fait croire que la terre ne tournerait pas sans lui. N’a-t-on pas écrit que « les hommes politiques mesurent leur pouvoir au nombre des faveurs qu'on vient leur demander. »? (Maurice Druon, le pouvoir)


L’élément déterminant sur la psychologie du prétendant à un pouvoir reste sans aucun doute l’acclamation populaire. En Mauritanie, comme pour tous les coups d’Etat, l’acclamation populaire du nouveau venu est une tradition. Un peuple qui applaudit à tout vent, pourvu que celui qui arrive lui promette de changer sa misérable situation.


Mais les effets d’une telle acclamation populaire sont dévastateurs sur l’ego de celui que l’on applaudit. Il finit par croire que c’est lui que le peuple soutien, alors que le peuple ne soutien qu’un espoir indépendamment du personnage. Si celui qui reçoit de telles acclamations sait que le peuple est descendu dans la rue pour soutenir tous les putschistes depuis 1978, il sortirait très vite de son leurre.


Il n’est pas erroné de dire qu’entre le moment où il a fait son coup d’Etat et celui où il est allé recevoir les acclamations de la foule, une translation psychologique c’est probablement réalisée chez le général Ould Abdel Aziz. Son « ego » lui dicterait alors qu’il a et qu’il est le pouvoir. « Le peuple est avec lui, il a besoin de lui » Le retour d’un ego amplifié par le passage au pouvoir.


III- Le général déchu : La crise de l’ego


En faisant un double putsch, Aziz s’est comporté en brigand et même s’il a déclaré qu’il n’est pas briguant d’un troisième mandat (avilissant par là même cette cohorte de parlementaires qui voulait en refaire un brigand constitutionnel), il ne faudrait pas le croire. Même si cette déclaration, applaudie par les naïfs de tous bords, semblerait faire croire en l’assagissement du putschiste quant à ses velléités plénipotentiaires, il n’en est rien. Le naturel, on le sait, revient au galop…et en treillis. Il est donc revenu.


Aziz sait très bien qu’il ne pourra pas quitter la scène politique, car, de par sa catastrophique gestion humaine et socioéconomique du pays, il ne prêtera pas le flanc aux procès et autres recours qui ne manqueront pas d’être intentés contre lui, ses ouailles, ses courtisans et autres spoliateurs de la nation et de ses richesses dont il fut le protecteur. Car durant tous ses mandats, il n’a fait qu’accroitre la haine, le dénuement, le désespoir de populations entières et le sous-développement de tout un pays. Sur ce plan, il sait qu’il doit rendre compte et cette redevabilité il fera tout pour y échapper.


S’il vient à perdre la « carte » de l’UPR qu’il est venu jouer, il risque gros, car sans l’appui de la nomenklatura, il est à découvert. L’UPR jouant la girouette, ayant fait allégeance à Ghazouani, il ne restera pour Aziz que deux appuis, la fortune qu’il a accumulée, La fidélité de Ghazouani et le BASEP.


Sa fortune, il commence déjà en user, puisqu’il aurait commencé à contacter plusieurs personnalités pour constituer un pôle économique et financier dont l’objectif est de prendre possession de parts importantes d’unités économiques mauritaniennes, y compris celles investissant dans le gaz. Il est parti trop tôt pour le gaz. Il est en train de faire une tournée pour asseoir ses appuis.


Quant à la fidélité de Ghazouani, qui a bien signifié qu’il ne permettrait pas que « l’on porte atteinte à Aziz », il devrait relire « Machiavel » : “Aussi est-il nécessaire au Prince qui se veut conserver qu'il apprenne à pouvoir n'être pas bon. ». Tôt ou tard, il comprendra que le pouvoir dans un Etat ne peut être bicéphale. Et que si amitié existe, elle doit se gérer hors des intérêts du peuple et la stabilité de l’Etat. Aziz n’étant pas venu pour une promenade de santé.


L’ego d’Aziz ne connait ni respect des institutions ni celui des personnes et s’il s’en prenait à Ghazouani de jouer au « Président », Aziz ne laissera pas son bébé BASEP orphelin. Ce bébé armé jusqu’aux dents, aux frais du contribuable, par lequel Aziz a tenu en respect toute une armée et ses généraux est toujours à son écoute.


Ainsi, l’alter ego en berne et l’ego au vent, Aziz deux fois putschiste est pris entre sa conscience déviationniste et un piège qui est en train de se refermer sur lui : la mauvaise conscience des autres. Sa réaction sera à la mesure de cette mauvaise conscience et Machiavel l’a bien montré : « “La soif de dominer est celle qui s'éteint la dernière dans le cœur de l'homme. »


Un général déchu sans alter ego, face à son ego désarmé. Un alter ego au pouvoir, face à son ego acclamé.

Et il n’est nul besoin de dire que c’est moins la conscience de l’alter ego au pouvoir qui causera le trouble que la mauvaise conscience de ceux qui l’acclament, réduisant son ego à celui que fut celui de son prédécesseur. De l’eau dans le gaz.

Pr ELY Mustapha
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