La crise
économique s’installe et ses corollaires, l’instabilité et l’insécurité
sociales, minent la société mauritanienne ; et la Covid-19 est un vecteur
certain de l’aggravation de la situation.
L’Etat mauritanien se devra de mettre en place une politique publique du revenu, dans ses aspects macro et micro-économiques, afin de maîtriser l’impact de la crise sur les ménages.
Politique publique
qui doit conduire au rééquilibrage des mesures budgétaires en faveur des
classes défavorisées (constituant l’essentiel du tissu social) et cela par l’adoption
de mesures d’urgences économiques et sociales.
En effet, il
doit agir rapidement sur l’équation de revenu qui, depuis toujours, empoisonne
l’économie mauritanienne et sur les instruments catalyseurs de cette équation. A
savoir, les politiques budgétaires, monétaires et fiscales dont il détient le
monopole régalien.
En effet, l’économie
mauritanienne est totalement inhibée dans son développement par l’interaction
des termes de cette équation. Son analyse en donne une dimension particulière en
Mauritanie et explique le sous-développement du pays.
R = C + E
R, comme Revenu, C, comme consommation, E, comme épargne. Le Revenu (R) est égal à la consommation (C) plus (+) l’épargne (E).
Un Revenu s’utilise soit en Epargne, soit en Consommation. La proportion de revenu utilisée en consommation, ne peut plus être épargnée. Lapalissade ? Non. Drame quotidien du ménage mauritanien.
La question est de savoir quel impact a, aujourd'hui, le revenu sur le niveau de vie du ménage. En somme, y a–t-il une politique mauritanienne du revenu ? Comment fait-on en Mauritanie pour allier la production, la productivité et le revenu. L’absence de politique du revenu ne serait-elle pas à l’origine de la crise socio-économique des ménages et de celle que vit toute la population ? L’Etat n’est-il pas le premier fautif dans l’appauvrissement actuel des ménages, et la déliquescence matérielle des populations.
La consommation des ménages : du matériel vers l’immatériel.
Le revenu des ménages en Mauritanie est entièrement consacré à la consommation. Hélas, depuis quelques années cette consommation a pris un contenu critique pour la survie du ménage et a consacré son endettement définitif.
En effet, si l’on examine les composantes de la consommation du revenu dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingts l’on s’aperçoit que ces composantes étaient alimentaires à plus de 70%, le reste se répartissait en dépenses d’habillement et de santé principalement.
Dans tous les cas, la part de consommation s’orientait vers les besoins du ménage au sens stricto sensu. Le ménage gérait son revenu pour des dépenses de survie. Pas pour des dépenses superflues. Dépenses qui si parfois elles l’étaient, se réduisaient souvent à l’habit de qualité que réclamaient pour les fêtes, les enfants à l’image de ceux du voisin.
Le revenu du ménage s’orientait entièrement en biens physiques dont l’image est claire chez tous : « le sac de riz, la provision de thé et de sucre…et la facture mensuelle du boutiquier du coin qu’il fallait rembourser pour que le père de famille puisse traverser la rue en toute quiétude »
(Voir : les variations
de l'indice des prix et le prix moyen de produits essentiels à Nouakchott
tels que présentés par l'Office national de la statistique mauritanien)
C’était cela les composantes principales de la grille de consommation du ménage qui s’aménageait parfois des dépenses de fêtes (souvent des crédits contractés) qui aggravaient les revenus en fin de mois et bien entendu les charges domestiques (eau et électricité s’il y a lieu). Ces dernières d’ailleurs étaient rejetées en fin de liste de consommation, vu que ces services s’acquéraient souvent par une fraude généralisée sur les branchements électriques et hydrauliques. Une tolérance qui constituait curieusement une dépense de transfert de l’Etat vers les ménages. Appelons-la « fraude tolérée ».
En définitive la consommation du ménage était donc entièrement quasi-matérielle. Riz, pâtes, sucre, pain, thé, habits, chaussures, loyers, eau, électricité, et santé.
Cette grille maintenait une gestion du revenu orientée vers les besoins des ménages. Une saine option de consommation qui se focalisait sur la cellule ménagère. Toute dépense, autre que celle prévue dans la grille précitée, était un luxe et qui était bannie. Les membres du ménage trouvaient le pain, l’habit et quelques soins. Et voilà que le pire arriva : le besoin immatériel fit son apparition.
L’affection « saine » d’un revenu, désormais confisqué.
Jusque dans les années 2000 donc, l’affectation du revenu était « saine » car orientée totalement et exclusivement vers les besoins du ménage.
Voici comment se présentait la répartition d’un revenu de ménage-type : Alimentation : 70 %, Habillement : 15 %, Transport : 10 % Santé et autre : 5 %
Ces pourcentages restent assez stables avec de faibles variations quelles que soient la catégorie, la nature ou la période. En effet l’affectation des revenus en Mauritanie est fonction des catégories (faibles et moyens revenus notamment) de la nature du revenu (salarial fixe mensuel ou revenu variable et saisonnier) ou d’événements structurels (fêtes et manifestations) qui accaparent périodiquement une part importante du revenu (habits, moutons de fêtes diverses etc.).
Dans tous les cas, jusqu’à récemment, le revenu du ménage avait donc deux caractéristiques : il était affecté à l’acquisition de biens physiques essentiellement, et cette affectation était totale. D’où l’absence de toute épargne de la part du ménage.
Consommation = alimentation + habillement+ transport +autres (faible pourcentage : santé, scolarité)
R (100%) = consommation (100%) + Epargne (0%)
L’équation R= C+E, se réduisait, en fait, à R= C où le Revenu est entièrement résorbé par la consommation.
Durant la période précitée, l’épargne faible ou inexistante laissait la place à la consommation. Ce qui est négatif.
Le point positif, par contre, était que le ménage consacrait son revenu à ses besoins vitaux.
Le ménage s’endettait, il vivait souvent sur un revenu instable mais il avait la caractéristique d’affecter ses moyens à ses besoins réels. Il réalisait une affectation optimale de ses ressources propres et s’ajustait saisonnièrement à travers les emprunts au long cours (le boutiquier du coin) et la solidarité familiale.
La destruction du revenu des ménages
Au cours de ces dix dernières années deux facteurs on détruit cet équilibre instable.
Le premier
est celui inhérent à la cherté de la vie dont les fondements sont à chercher
aussi bien dans l’absence de compétitivité, de production et de productivité de
l’économie nationale que dans des facteurs inhérents à l’économie
internationale (flambée des prix des prix des céréales et de l’énergie).
Le second facteur et non des moindres est dû paradoxalement à l’Etat lui-même. En effet, par l’introduction des fournisseurs télécoms étrangers, l’Etat a détruit le revenu du ménage. Cela peut sembler curieux à première vue, mais c’est une réalité que même les statistiques sur l’évolution du revenu des ménages se refusent à prendre en considération.
Depuis, en effet, l’introduction du premier opérateur GSM en Mauritanie la structure de la consommation du ménage a changé du tout au tout. La consommation téléphonique a pris une place très importante dans l’affectation du revenu.
Prenons un exemple. Avant 2000, un ménage qui avait pour tout revenu, 20 000 UM mensuels, les affectait ainsi : 14.000 en alimentation, 3000 en habillement, 2000 en transport et 1000 en santé et autres.
Avec l’intégration de la charge de communication téléphonique,25 % à 40 % du revenu ont été affectés à l’achat de cartes de recharges GSM. Soit 5000 à 8000 mensuellement. Cette proportion peut passer du double au triple en fonction du nombre de membres dans la famille et de sa structure (les enfants usant les revenus du ménage par les recharges) et durant les grands évènements (fêtes etc.).
Si donc on soustrait du revenu du ménage, la charge générée par le poste « communication », le ménage se voit privé du quart, ou quasiment du tiers de son revenu. Et dans certains cas cela dépasse ces proportions de façon dramatique. Certaines familles se privant de tout pour recharger leur GSM.
Les compagnies de GSM en Mauritanie ont en effet développé une politique agressive de consommation du téléphone portable à telle enseigne que non seulement le citoyen en est devenu dépendant (culture d’une parlotte stérile), mais use son maigre revenu de façon dramatique (une indigence de fait) . Il n’en tire d’ailleurs aucune contrepartie du point de vue du service rendu : arnaque sur les temps de communication, médiocrité du réseau et du débit internet etc.
Ces compagnies participent ainsi à saper l’économie mauritanienne, par la confiscation de l’épargne nationale qui leur est drainée à travers la consommation téléphonique sous forme de bénéfices quelles engrangent sans contreparties réelles. Des milliards dont on prive le développement de l’économie nationale.
(Voir mon article consacré à ce grave phénomène : « les plaies du grattage »: https://haut-et-fort.blogspot.com/2012/10/le-siphonage-de-leconomie-nationale-par_1877.html )
Ainsi, relativement au ménage, il est passé d’un revenu, certes maigre, mais consacré aux besoins vitaux, à un revenu qui s’est encore rétréci puisque confisqué par le poste consommation des produits télécoms.
Dans cette situation, le ménage est obligé de faire un arbitrage entre ses dépenses vitales et les dépenses qui ne le sont pas naturellement mais qui le sont devenues socialement et culturellement (la parlotte en portable).
Ainsi cela se fera au détriment de l’alimentation, de l’habillement, du transport, de la santé, de la culture ou de l’éducation.
La sous-alimentation (rachitisme et anémies), l’habillement non renouvelé et non soigné (porteur de maladies et de frustrations pour les enfants notamment), le chômage (déplacements coûteux pour rechercher du travail ou simplement aller travailler ; expliquant des lieux de production et des administrations désertés), maladies non soignées (médicaments, médecins et cliniques hors budget), culture oubliée (livres et savoirs inabordables) et éducation médiocre (concédée à bas prix et par des institutions sans ressources).
Amputé donc du tiers de son revenu, le ménage se trouve confronté au dilemme de la survie. N’ayant ni les moyens de se maintenir face à une vie qui devient très chère et qui fait fondre son revenu et un avenir obscur car il n’y a pas d’avenir sans épargne, le ménage est dans une situation alarmante qui explique d’ailleurs le profond malaise qui touche l’économie mauritanienne.
Tous les moyens qui devaient être consacrés à ces dépenses du ménage se retrouvent dans une carte GSM payée au prix fort au profit de géants des télécoms qui exportent leurs bénéfices, laissant des ménages exsangues, et une économie à genoux, faute d’une épargne confisquée. Une épargne moteur de l’économie. Une épargne pour l’investissement public et privé.
En effet si l’on considère que la fonction Revenu de l’individu est la suivante :
Revenu = Consommation + Epargne
La fonction « revenu national » est la suivante :
Revenu= Consommation + Investissement
Or l’investissement ne peut se réaliser que deux manières :
- L’investissement public (budget de l’Etat)
- l’investissement privé (budgets privés – entreprises, individus)
Relativement à l’investissement public, il se réalise au détriment du revenu des ménages et ne lui profite pas. Pour trois raisons :
- C’est un investissement qui se fait au détriment d’une politique de développement cohérente et même d’un modèle de développement apparent et suivi.
- C’est un investissement essentiellement réalisé sur des emprunts internationaux qui hypothèquent l’avenir du pays et accroissent chaque jour le taux d’endettement par tête d’habitant
- C’est un investissement sur ressources mal gérées sinon confisquées et dilapidées par une nomenklatura à laquelle on a consacré bien des écrits ici et ailleurs.
Relativement
à l’investissement privé, il se réalise lui aussi au détriment du revenu du
ménage (le cas des télécoms précité en est illustratif) et cela pour trois
raisons essentielles :
- C’est un investissement entièrement tourné vers un profit capitalistique réalisé par une oligarchie de commerçants et banquiers se souciant peu d’une formation quelconque de capital fixe au profit du pays.
- C’est un investissement qui ne bénéficie pas d’une épargne locale soutenue de la part des ménages. La pauvreté des dépôts d’épargne publique auprès du système bancaire en est le premier exemple. Sans dépôts en épargne tout investissement est pénalisé.
- C’est un investissement qui ne s’insère pas dans une stratégie globale de développement et de production dans un plan de développement public mis en œuvre par l’Etat et contrôlant la participation des capitaux privés à la réalisation des objectifs de développement nationaux (distribution de revenu, croissance du tissu commercial et industriel ; résorption du chômage, compétitivité des entreprises, productivité etc.)
L’investissement public est aussi improductif que l’investissement privé dans le développement national. D’ailleurs l’interpénétration entre leurs acteurs, à savoir entre l’Etat et les détenteurs de capitaux privés est un frein réel qui fut tant de fois dénoncé à travers la complaisance, l’utilisation abusive des marchés gré--à–gré, de l’octroi douteux des marchés publics etc. Et cela jusque dans la manipulation des taux d’intérêts bancaires et autres triturations insoupçonnées et insoupçonnables au profit d’un investissement que se partagent des groupes ; pas la nation.
L’aggravation de la situation des ménages : Un Etat sans politique des revenus
Si l’on examine le comportement des entreprises en Mauritanie (nationale et étrangères), qui, à côté de l’Etat, sont distributeurs de revenus, on remarque une véritable démission de l’Etat dans sa politique des revenus à leur égard.
Le travailleur mauritanien est entièrement laissé au bon vouloir et à la merci de ces entreprises. Les travailleurs licenciés abusivement, les entreprises qui font fi de toute réglementation sociale et du travail sans que les organismes de l’Etat en matière de travail et de sécurité sociale interviennent font partie de l’actualité quotidienne.
Le travailleur mauritanien semble quémander son revenu et est prêt à toute concession pour conserver son emploi face à une démission de l’Etat. Concessions qui vont de l’acceptation d’un salaire sans proportion avec ses qualifications, au gel de ses augmentations salariales légales, ou de son avancement professionnel.
Pour conserver son revenu, le ménage mauritanien est soumis à cette contrainte de l’absence de l’Etat pour défendre son niveau de vie.
En effet, aucune stratégie de l’Etat n’est définie dans sa politique des revenus à l’égard des entreprises, de lier le revenu à des paramètres objectifs. Notamment la productivité de l’entreprise. Le niveau de revenu se doit d’être indexé périodiquement sur la productivité de l’entreprise afin de redistribuer une part des bénéfices sur les travailleurs. En Mauritanie, l’Etat ne se préoccupant pas de cet aspect les entreprises engrangent une part du revenu qui doit revenir au salarié.
Cependant la politique des revenus peut aussi utiliser d’autres instruments tel que l’allègement de la taxation des dividendes distribués aux travailleurs actionnaires minoritaires ou encore la non-imposition complète (ou le relèvement des intérêts perçus) des comptes spéciaux d’épargne où une part du revenu pourrait être virée, par consensus avec l’employé, par l’employeur etc.
Sans politique de revenu dont pourrait profiter, à moyen et long terme, le ménage (par l’épargne qu’il constituerait) et le pays (par l’investissement), la croissance économique est une vue de l’esprit. Le ménage étant un vecteur important de cette croissance, il est jusque-là ignoré des politiques publiques qui n’y voient que des individus, pas la cellule fondamentale de tout développement.
Si l’équation du revenu empoisonne l’économie mauritanienne, c’est justement parce que celui dont elle module le niveau de vie au plus haut point, à savoir le ménage, est aujourd’hui dans une situation économique critique à laquelle l'Etat n’apporte aucune solution. Car dans cette équation, l’Etat ne voit que l'un de ses termes : la Consommation (C) qui lui permet de justifier toutes ses dépenses et les crises de sa politique sociale.
Quant aux autres termes, le Revenu (R) et l’épargne (E), ils sont laissés au compte du ménage pour lequel tant le revenu que l’épargne se réduisent à la consommation (C). Or il n’y a pas d’avenir sans épargne. L’épargne, assurance sur l’avenir, source de financement et d’investissement…la véritable richesse d’une nation, somme de ses ménages.
Pr ELY Mustapha.
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