Face aux révélations des rapports de la Cour
des comptes et en l’absence d’instructions du Président de la république au
Ministre de la Justice de saisir le ministère public sur les centaines de
crimes et délits économiques et financiers (avec leur conséquence de
responsabilité directe et indirecte sur toute la société) et dont les auteurs
sont encore en activité, la question que se poserait tout citoyen est de savoir
à quoi sert la Cour des comptes ?
Cette question est d'autant plus
pertinente si l’on sait que le Commissaire du gouvernement, qui représente le
Ministère public auprès de la Cour des comptes, est tenu par loi, au cas où
le contrôle fait apparaître des faits susceptibles de constituer un délit ou un
crime, de transmettre le dossier au ministre de la justice. La loi est même
plus explicite puisqu’elle impose au commissaire de dénoncer au ministre de la
justice des faits de nature à motiver l’exercice d’une action pénale, et d’en
aviser le ministre intéressé, ainsi que le ministre chargé des Finances.
Dans les rapports de la Cour des
comptes, cette saisine est fort limitée. A titre d’exemple dans son dernier
rapport, la mise en œuvre d’une telle action publique (saisine de la justice)
ne l'a été que dans 2 cas (Centre Hospitalier National, Ecole Talha relevant de
la commune de Riadh) à l’égard des présumés délinquants qu’elle dénonce dans
son rapport.
LA RESTITUTION CONTRE L’IMPUNITE
Et curieusement, la Cour utilise, dans ces
cas transmis à la justice, la formule suivante : « Suite à la
non-exécution de cette demande de restitution, ce dossier a été transmis à la
justice. » Entendre par « restitution », celle des sommes
détournées ou manquantes.
La Cour des comptes considère donc que
la restitution arrête les poursuites pénales et ne transmet pas le dossier à la
justice. Ce qui est vérifié dans son rapport par des dizaines de cas où le
délinquant restitue et ne fait pas l’objet de poursuites.
En voici des exemples :
- « Sur la base d’une demande de
remboursement en date du 06/04/2018, ce montant de 1.454.064 MRU a été restitué
par le Maire d’EL Mina. Ce dernier a versé ledit montant au trésor public (cf.
quittance N°C00036101). »
- (..) un montant total, toutes taxes
comprises, de huit millions huit cent dix mille quatre cent cinquante-deux
ouguiyas anciens (8.810.452 A-UM, soit 881.045,2 MRU) sont injustifiées et leur
montant net arrêté à sept millions quatre cent mille sept cent quatre-vingt
ouguiyas anciens (7.400.780 A-UM, soit 740.078 MRU). Sur la base d’une demande
de remboursement, ce montant a été restitué par le Maire de Teyarett. Ce
dernier a versé ledit montant au trésor public »
La cour demande même la restitution sans
en tirer les conséquences sur le plan pénal :
-
« La Cour considère que la
prise en charge de ces créances est injustifiée car les intéressés ont été
nommés et mis fin à leurs fonctions par décision du Conseil des Ministres et que
par conséquent, les dispositions de la convention collective ne s’appliquent
pas à leur cas. Elle considère que ce montant doit être restitué. »
Or, il ne fait pas de doute que La
restitution est un préalable avant toute poursuite pénale, mais ne l’arrête
pas. D’ailleurs même la tentative de ce délit est punie pénalement comme le
délit lui-même.
En effet, comme le mentionne le code
pénal : « Préalablement à toute poursuite, les auteurs des délits
susvisés auront été mis en demeure, par l'agent de l'Etat chargé de l'enquête,
de rendre ou de représenter les effets, deniers, marchandises ou objets
quelconques, billets, quittances ou écrits, contenant ou opérant obligation ou
décharge qu'ils avaient détournés, soustraits ou obtenus frauduleusement. »
(Art 166 Al.2)
Ainsi, en matière pénale la restitution
n’arrête pas les poursuites pénales elle sert uniquement à un accorder le sursis
d’exécution de la peine après jugement ou à accorder des circonstances
atténuantes et cela sous certaines conditions strictes : « si les deniers et
effets détournés ou les objets obtenus frauduleusement ont été restitués
spontanément par l'auteur du délit ou par son complice ou sur leurs indications
ou dénonciations expresses » (Article 167 Al.3 du Code pénal.)
L'application des circonstances
atténuantes est subordonnée à la restitution ou au remboursement, avant
jugement, du tiers au moins de la valeur détournée ou soustraite.
Le bénéfice du sursis ne pourra être
accordé qu'au cas de restitution ou de remboursement avant jugement des trois
quarts au moins de ladite valeur.
Il faudrait, par ailleurs, s’interroger
si la « demande de restitution » formulée par la Cour des
comptes suite à la découverte de l’infraction pénale, entre dans le champ
« de la restitution spontanée », permettant le sursis ou les
circonstances atténuantes de l’article 167, mais constituerait plutôt la découverte
d’une infraction pénale accompagné d’acte de dissimulation et de manœuvres
frauduleuses.
UNE NECESSAIRE QUALIFICATION JUDICIAIRE DES
ACTES COMMIS
Il faudrait que tous les cas ayant fait
l’objet « de restitution spontanée » (aux dires de la Cour des
comptes) soient transmis au Ministère public pour la qualification pénale
(délictuelle ou criminelle) des actes commis. Et c’est à la Justice d’instruire
l’affaire, la juger ou la classer.
En effet, par application des
dispositions du code pénal, des centaines d'actes relevés par le rapport de la Cour
des comptes sont frauduleux et relèvent par nature de la justice pénale, au
sens du délit et du crime tels que définis par le code pénal mauritanien dans toute
une section consacrée à la forfaiture, les crimes et délits des fonctionnaires
publics dans l'exercice de leurs fonctions.
« Tout agent civil ou militaire de
l'Etat d'une collectivité publique ou d'un établissement public, d'une
coopération ou association bénéficiant du soutien de l'Etat, d'une société dont
l'Etat ou une collectivité publique détient la moitié au moins du capital, qu'il
soit ou non comptable public, toute personne, revêtue d'un mandat publie ou
tout officier public ou ministériel qui aura commis dans l'exercice de ses
fonctions les détournements ou dissipations prévus à l'article 379 du présent
code, sera puni d'un emprisonnement de cinq à dix ans; en outre, une peine
d'amende de 5.000 UM à 1 million UM sera obligatoirement prononcée. « (art
164)
Ainsi, l'institution de
"Commissaire de Gouvernement » permettrait à la Cour des comptes de lutter
efficacement contre l'impunité ce qui contrebalancerait l'absence de suite
donnée à ses rapports et recommandations par l’Exécutif.
En France la Cour des comptes et ses
chambres régionales dénoncent les actes constitutifs de crimes et délits et une
abondante jurisprudence concerne à la fois la saisine des juridictions pénales
par les juridictions financières et les
modalités de traitement quant au fond des saisines ( Voir « L’étude statistique relative
aux transmissions de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes
faites à l’autorité judiciaire », publiée en annexe de l’ouvrage du ministère
de la Justice, ministère de la Justice, Relations entre l’autorité judiciaire
et les juridictions financières, Paris, Imprimerie Nationale, juin 1996, p. 4
de l’annexe 1)
CORRUPTION ET PRESOMPTION DE CORRUPTION
Or, Il appert des rapports de la Cour
des comptes mauritanienne des centaines d’actes relevant du pénal:
-
Fraude avérée à la législation
sur les marchés publics de l’Etat des collectivités publiques locales et des
établissements publics
-
Fraude manifeste sur les contrats de biens de services
et sur la cession du domaine public.
-
Détournements de deniers publics,
-
Concussion évidente,
-
Dilapidation des ressources
publiques,
-
Détournement de procédures
budgétaires, financières et comptables,
-
Fraude et forte présomption de corruption sur les
contrats de mines et de pèches,
-
Recrutements de complaisance,
-
Dissimulation, de falsification
de documents budgétaires, comptables et financiers
-
Manipulation de dispositions de
contrats publics
-
Enrichissement sans cause, paiement de l’indu,
-
Gestion frauduleuses d’établissements
publics et de projets etc.
Tous ces actes, sont le pendant de
corruptions active et passive généralisées, et constituent au moins des
présomptions sérieuses qui se doivent d’être traitées conformément à la loi n°
2016.014 relative à la lutte contre la corruption :
« Sont punis d’un emprisonnement de
cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de cinq cent mille (500.000) à un
million (1.000.000) d’ouguiya : 1° L’agent
public qui sollicite
ou accepte, directement
ou indirectement, un avantage
indu, soit pour
lui-même ou pour
une autre personne
ou entité, afin
qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de
ses fonctions; 2° Toute personne qui
promet, offre ou accorde à un agent public, directement ou indirectement, un
avantage indu au
profit du fonctionnaire
lui-même ou pour l’intérêt d’un
individu ou d’une
autre entité afin qu’il
accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte relevant de
ses fonctions. »
Les gestionnaires publics de l’Etat, de
collectivités publiques locales, d’établissements publics, auteurs de tous ses
actes, qui ont englouti les ressources publiques, tués des milliers de
personnes (détournement des budgets des hôpitaux, de l’équipement, des
infrastructures hospitalières et routières…), réduit à la misère et à
l’ignorance des milliers de personnes (détournement des ressources de
l’Education, de l’enseignement, de la formation, de la recherche …), etc., sont
encore à la tête d’administrations ou mieux encore promus à d’autres emplois.
LA CREDIBILITE DE LA COUR AUPRES DE
L’EXECUTIF
Le président de la République a
l’obligation de sanctionner cette impunité flagrante qui a coûté, et qui
continue encore de coûter, à la nation des centaines de milliards d’ouguiyas, et
de vies en souffrance, mettant à genoux tout le pays et le jetant dans la
pauvreté, la misère et le sous-développement.
Si le ministère public n’est pas saisi
de ces actes et faits flagrants dont les preuves sont rapportées par la Cour
des comptes, l’on ne pourra qu’en tenir deux conclusions :
-
Où le rapport de la Cour des
comptes n’est pas fiable et ne constitue pas pour l’Exécutif un travail d’une
institution crédible de contrôle.
-
Où l’impunité fait partie de la
gouvernance publique en Mauritanie
Dans le premier cas, si l’on considère que le degré de crédibilité accordée
à la cour des comptes, par l’Exécutif, est inversement proportionnel au temps
que passent ses rapports dans le tiroir présidentiel, alors cette crédibilité
est inexistante. Jamais le contenu des rapports ou les recommandations de la Cour
des comptes depuis sa création n’ont été suivis d’effets. Et la Cour des comptes
reconnait elle-même cet état de fait.
UNE INSTITUTION QUI COUTE CHER, RAPPORTEE A SA CONTRIBUTION
Pourquoi donc maintenir une institution de contrôle qui coûte annuellement
des millions au contribuable mauritanien et dont le travail de contrôle est inexploité?
Ainsi son budget de fonctionnement s’élève en 2019 à plus de 37 millions d’ouguiyas)
… Si l’on additionne tous les moyens budgétaires (en fonctionnement et
investissement) accordés à cette cour depuis sa création on comprend le
gaspillage des ressources publiques. La Cour des comptes pourrait elle-même
être considérée comme source de dilapidation des ressources publiques et
exemple de mauvaise allocation de ressources publiques. Dans une gestion
budgétaire par objectif, la mission « Cour des comptes » et le programme
« contrôle des finances publiques » aurait des résultats
négatifs avec une performance nulle et des indicateurs de réalisation au rouge.
A moins qu’on lui redonne la place qu’elle mérite dans le système de
contrôle des finances publiques et que l’on accorde une effectivité à ses
recommandations et au contenu de ses rapports.
C’est moins une question de crédibilité qu’une absence de volonté politique
d’appliquer le contenu du rapport.
Dans le second cas, en effet, l’impunité fait depuis longtemps partie de la
gouvernance publique en Mauritanie
Et sur ce point, à moins que Ghazouani n’inaugure une nouvelle forme de
gouvernance contre l’impunité des gestionnaires publics, l’on ne peut qu’être
pessimiste eu égard au sort ayant été réservé aux rapport de la Cour des
comptes depuis sa création.
Ainsi aucun de ses rapports depuis 2006 n’a été un instrument pour
l'Exécutif pour éradiquer l’impunité dans tous ses aspects précités.
Alors en serait-il autrement, avec le récent rapport 2016-2017 ?
VERBA VOLANT SCRIPTA MANENT : Les paroles s'envolent, les écrits
restent.
La Cour elle-même reconnait que tous ses rapports dénoncent les mêmes faits
mais qu’ils n’ont jamais été suivis d’effets y compris le dernier rapport dans
lequel elle admet, explicitement, l’ineffectivité de son contrôle, à travers le
peu de considération pour ses rapports :
« La Cour rappelle, par ailleurs, que la plupart des observations
contenues dans le présent rapport n’ont cessé de se perpétuer dans ses rapports
précédents sans qu’elles puissent être évitées ou corrigées. Cette situation
amène à attirer l’attention que tout contrôle dont les suites ne sont pas
accompagnées d’application restera en déphasage par rapport à ses objectifs et
donc sans effet. » (Recommandations du rapport 2016-2017, page 227).
A moins que les pouvoirs publics ne voudraient voir dans le rapport de la
Cour des comptes, qu’un ennuyeux « dictionnaire d’argot », comme se
l’avouait Céline : « Un livre tout entier d'argot est plus ennuyeux
qu'un rapport de la Cour des comptes. »
En effet, faudrait-il chercher ailleurs, une explication plausible à cette
impunité, si ce n’est dans l’ignorance de tout ce qui pourrait contribuer à
l’éradiquer ?
Verba volant scripta manent. Ce sera certainement cet adage qui, sur le
temps, justifiera le travail de cette Cour.
Pr ELY Mustapha
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