En sortant de prison en 2013 Mohamed Lemine Ould Dadde avait purgé deux ans de prison.
Il revient aujourd’hui en conseiller à la présidence et ce ne sont pas ses
compétences qui sont à mettre en doute mais sa conscience d’homme libre. Il fut
libéré après avoir été reçu en audience (encore prisonnier en liberté
provisoire) par le général Aziz et nous
avions consacré un article la même année au secret de cette libération après
cette singulière audience, le voici. Cette
nouvelle nomination de Ould Dadde, nous donne raison : le secret de l’entretien
bien gardé était bien un deal dont le dénouement vient d’arriver. Résistance et
inconscience ne font pas bon ménage.
Deux ans de cachot sans autre forme de procès
si ce n’est celui d’un semblant d’audiences où ses avocats plaidaient dans un
désert de Justice où les juges aux ordres manipulaient la balance du droit et
de l’équité. Ould Dadde est désormais libre…provisoirement. C’est autant dire
que le régime ne l’a pas encore lâché. Même si de l’étranger il pourrait ne pas
revenir…à moins que le secret qu’il garde ne l’incite…à revenir.
Ce secret c’est
celui de l’entretien qu’il a eu avec Ould Abdelaziz suite à l’audience qu’il
lui a accordée à sa sortie de prison.
Nulle part Ould
Dadde n’a voulu révéler le contenu de l’entretien qu’il a eu avec son général
de geôlier. A la question d’une journaliste de Jeune Afrique, en 2013, sur la
teneur de cet entretien Ould Dadde a répondu : « Je garderai ça pour moi »
Qu’est-ce qui
dicte à Ould Dadde, de garder le secret de cet entretien ? Un esprit libre,
communicatif et de surcroit indépendant n’aurait pas hésité à divulguer
l’information. A moins…à moins que Ould Dadde, ne veuille bien cacher et taire
des choses que le général lui aurait divulguées. Mais taire un secret ne peut être
dicté que par les raisons suivantes :
- Le
dépositaire du secret (ould Dadde) est lui-même concerné et le divulguer va lui
porter tort;
- Le
dépositaire du secret sait que la personne qui le lui a confié est concernée et
donc le divulguer va encore lui porter tort;
- Le
dépositaire du secret s’est engagé à ne pas le divulguer en contrepartie de
quelque chose;
- Le
dépositaire du secret craint pour sa personne en le divulguant.
A l’évidence
Ould Dadde semble tenir à ce secret et cela n’arrive qu’à ceux qui sont
convaincus que la révélation d’un tel secret portera préjudice soit à eux-mêmes
soit à autrui. Ould Dadde n’échappe pas à ce raisonnement.
Toutefois, en
accordant une interview Ould Dadde ne sait pas qu’il a révélé « sans le savoir
» un pan important de ce qu’il tait.
L’analyse de
l’interview montre un ensemble d’indices et de prises de position de Ould Dadde
qui montrent que le personnage a subi un « traitement » spécifique qui lui
dicte son attitude.
I- La «
machination de…la vielle garde
Le premier
terme utilisé par Ould Dadde dans son interview c’est celui de « machination »,
il dit texto : « ce qui m’est arrivé a été orchestré par la vieille garde ».
C’est qui la «
vieille garde » ? Celle « qui rejette tout changement en Mauritanie ».
On l’a donc
compris le message que Ould Dadde veut passer c’est que Aziz n’y est pour rien.
Qu’il n’a rien à voir avec son limogeage ni son incarcération depuis plus de
deux ans !
Ould Dadde a
croupis en prison à cause d’une « vieille garde ». Il aurait pu ajouter que
c’est cette même « vieille garde » qui a jeté Ould Khattri et ould Waqef en
prison, qui a maintenu durant des mois d’anciens gestionnaires publics (Air
Mauritanie, Mauritania airways, Sonimex etc.) en prison sans procès et qui a
encore libéré tous les détenus dans les affaires mafieuses et de drogue…
La « vieille
garde », allons donc !
Aziz a bien
embobiné le personnage. Cette construction « vieille garde », colle bien à la
personnalité du général qui a bâti sa gestion du pouvoir sur la paranoïa, la crainte
de l’ennemi intérieur- extérieur. En recevant une balle amie, cela s’est encore
affermi.
Ould Dadde,
ayant plongé dans le milieu politique sait que dans le régime de Aziz toutes
les « gardes », c’est lui. La vieille garde, la nouvelle garde et la garde
présidentielle. Il a tout assujetti à travers la dilapidation du Trésor public,
la corruption, le trafic d’influence et le népotisme.
Si aujourd’hui
Ould Dadde nous dit qu’il a été victime d’une « vieille garde », c’est soit il
ne connait pas Aziz (qui ne s’écoute que lui-même) soit il est sciemment en
train de jouer son jeu. Et dans les deux cas, il est perdant.
A quel jeu joue
alors Aziz en « désinformant » ould Dadde ? Et à quel jeu joue Ould Dadde en
acceptant d’être désinformé ?
Ce que sait
certainement Ould Dadde, c’est que sa libération, il ne la doit en rien à un
quelconque procès mais à une instrumentalisation de sa libération à la veille
d’échéances électorales, pour lesquelles Aziz se prépare et se voudrait donc
sans reproches. Libérer Ould Dadde est un geste comme on dit politiquement «
d’apaisement » et de « neutralisation » de ses détracteurs. Socialement
et tribalement.
L’on ne
pourrait croire que Ould Dadde ne le sait pas. Comme l’on ne pourrait pas
croire qu’il puisse si facilement accorder une bonne foi à un général qui l’a
écroué pendant des mois.
II- Le régime
d’Aziz: tout est beau tout est gentil
Au vu de
l’audience qu’il a eue avec Aziz et ses interventions dans la Presse
Internationale, il semble hélas que Ould Dadde n’a pas retenu la leçon de son
aventure dans les cercles du pouvoir. Un pouvoir mal acquis, usurpé et
omnipotent. Ould Dadde est-il conscient que sa résistance, risque de succomber
à sa conscience ?
Après sa
libération à la question d’une journaliste de J.A : « Pourquoi avez-vous
accepté en septembre 2008, le poste que vous a proposé « Aziz » ?
Ould Dadde
répond : « Parce qu’on m’offrait la possibilité d’atteindre des objectifs pour
lesquels je le suis toujours battu qui, plus est au sein d’un gouvernement qui
a réalisé des avancées significatives sur les questions nationales »
En 2008, le
gouvernement c’était celui d’Aziz issu d’un putsch, de quelles « avancées
significatives », s’agit-il ?
N’ignorant cependant
rien de ce qui s’est passé en 2008 et 2009, Ould Dadde semble avoir perdu toute
conscience de la réalité des faits. La Prison a-t-elle brisé à ce point sa
résistance ?
En fait, il y a
tout au long du parcours de Ould Dadde trois périodes distinctes. En fait trois
personnalités différentes.
La période
commençant avant son entrée au gouvernement de Aziz : celle de la diaspora, de
l’exil « loin de yeux, loin du cœur ». Durant cette période Ould Dadde faisant
son bonhomme de chemin de militant, en France notamment avec ses partisans et
ses alliés. Cette période se caractérisait par la continuité d’une résistance
conformément à sa conscience.
La période
d’entrée au gouvernement d’Aziz : C’est la période où Ould Dadde décida de
rejoindre « Aziz ». Et c’est là où le personnage confondit entre conscience et
résistance. Abandonnant sa résistance il se fit bonne conscience de se mettre
au service du putschiste. La résistance de la conscience a-t-elle des limites ?
Toujours
est-il, qu’en lui accordant la bonne foi de sa conduite, il la paya cher. Nous
avions consacré des écrits à cette période. Voir notamment :
Le bouc Commissaire (http://haut-et-fort.blogspot.com/2011/06/le-bouc-commissaire_4633.html)
La “jurisprudence” Ould Dadde (http://haut-et-fort.blogspot.com/2010/10/la-jurisprudence-ould-dadde_4326.html)
Le cas Lemine ou une
démonstration machiavélique par la théorie des jeux (http://haut-et-fort.blogspot.com/2012/11/le-cas-lemine-ou-une-demonstration_6022.html
)
Au vu de
l’interview, Ould Dadde semble vouloir trouver un justificatif à tous les actes
de Aziz.
Les juges ?
Les juges c’est
malgré eux qu’ils condamnent car, selon Ould Dadde, « ils craignent les
affectations administratives et cherchent à plaire à ceux qui peuvent les leur
éviter ». Donc ils ne sont pas indépendants.
Mais Ould Dadde
avoue par là-même que c’est Aziz qui l’a condamné. En effet qui décide des
affectations des juges et qui peut leur éviter de telles affectations? ». Le PM
? Le ministre de la justice ? Allons donc.
L’opposition ?
Elle rejette
tout. « Les homme politiques devraient s’efforcer de redonner aux Mauritaniens
confiance en leurs institutions plutôt que de les diaboliser. Il faut cesser de
rejeter en bloc tout ce qui est entrepris ».
Pour Ould Dadde
le slogan de l’opposition « Aziz dégage ! » ne peut « pas tenir lieu de
programme » !
Mais alors sur
quel programme Ould Dadde a rejoint Aziz après son putsch ?
Difficile à
dire. Mais un indice dans l’interview le laisse entrevoir. Voici, texto, ce que
répond Ould Dadde à la question : « Appartenez-vous à un parti politique ? »:
« Je
n’appartiens à aucun parti, ni de la majorité, ni de l’opposition. Je suis une
personnalité politique nationale qui se positionne par rapport à un
programme. En 2009, Aziz a été élu sur la base d’un programme et non pas
d’alliances tribales. »
Jusque-là le
discours de neutralité de Ould Dadde semble tenir la route, c’est après que les
choses deviennent graves tant pour la résistance que pour la conscience de « la
personnalité politique nationale » par laquelle Ould Dadde se définit.
Il poursuit en
disant : « Ceux qui proposeront des solutions concrètes pour la stabilité et
le développement du pays me retrouveront à leurs côtés ».
En d’autres
termes, qu’ils soient putschistes, illégaux, tyrans, dictateurs, Ould Dadde
n’hésiterait pas à les rejoindre pourvu qu’ils « aient des solutions pour la
stabilité et le développement du pays ».
En somme, un
serviteur public dont la conscience tient à un programme pas à des idéaux
démocratiques, de liberté et de justice. Ainsi Ould Dadde rejoignit Aziz
doublement putschiste piétinant la démocratie et les droits constitutionnels du
peuple parce que dit-il « en 2009, Aziz a été élu sur la base d’un programme »
!
Ceci est
d’autant plus inquiétant, que non seulement Ould Dadde a rejoint un soi-disant
programme d’Aziz mais qu’il se retrouva en prison et n’en tira aucune leçon si
ce n’est d’être, à mots couverts, un laudateur du régime qui la brisé.
Alors vraiment,
est-ce ce Ould Dadde, membre de la diaspora, qui s’est brûlé les ailes au
contact du pouvoir qui devait apparaître ? Certes non.
Alors que
s’est-il donc passé pour qu’Ould Dadde sorti de prison soit si clément avec le
régime qui l’a terrassé et avec son général de geôlier ?
Tout tient dans
la teneur dans l’entretien qu’il a eu avec Aziz à sa sortie de prison.
III- Le contenu
de l’entretien : « si tu…je… »
Quand un
prisonnier qui se proclame innocent avec des preuves tangibles sort de prison,
il est rare qu’il rencontre son geôlier soit sur sa requête, soit sur celle du
premier.
Cependant si
cela arrive, il y a fort à parier que l’entretien qui en résultera ne peut être
basé que sur l’une des trois attitudes du geôlier à l’égard de son visiteur :
- S’il veut
continuer à clamer son innocence et à me défier, je le rejette en prison
- S’il veut
collaborer même indirectement je lui épargne la prison, je lui prouve que je ne
suis pour rien dans ce qui lui est arrivé et je l’utilise pour mes intérêts politico-personnels.
A la lecture de
l’interview de Ould Dadde, c’est la seconde solution qui lui a été appliquée.
Une solution que le système de désinformation de Aziz a mis en scène pour le
prisonnier qui ne sachant pas pourquoi on l’a mis en prison, ni pourquoi on l’a
libéré est psychologiquement prêt à essayer de comprendre sans se douter qu’il
puisse être instrumentalisé.
C’est alors
qu’Aziz lui expliqua qu’il n’est pour rien dans son emprisonnement, que ce sont
les «autres » qui l’on fait et que malgré lui il a gardé sa neutralité (pendant
2 ans). C’est ainsi que suite à cela Ould Dadde indexera dans son interview les
personnes qui l’ont jeté en prison et qui sont « issues de la vieille garde ».
Mieux encore (et on reconnaîtra là certainement des « bribes » du discours que
lui a tenu Aziz), ould Dadde dira ce sont « ceux qui jouaient le rôle
d’intermédiaires politiques et dont le régime actuel a décidé de se passer »
qui lui en voulaient.
Suffisamment
« traité » à l’argumentaire de l’ennemi extérieur-intérieur, Ould Dadde
s’est encore rangé du côté de Aziz.
Mais la seconde
question est alors de savoir pourquoi Aziz a agi ainsi ? La réponse coule de
source : Aziz a instrumentalisé Ould Dadde. C’est ce qui explique la réponse de
ce dernier à la question de la journaliste de Jeune Afrique sur la teneur de
cet entretien : « Je garderai ça pour moi ».
Un secret qui
ne peut être révélé est certainement lourd de conséquences tant pour son
déposant (Aziz) que pour son dépositaire (Ould Dadde).
Alors que
contient-il ?
Il est fort
probable qu’il s’agisse d’un deal, un marchandage, entre Aziz et Ould Dadde et
dont l’enjeu est la liberté de ce dernier. Nous
le résumons dans ce qui suit :
- Aziz invente
pour Ould Dadde, un “ennemi” qui est la cause de son emprisonnement (« la
vieille garde »)
- Aziz se
disculpe et montre patte blanche à Ould Dadde,
- Ould Dadde
trouve un moyen pour rester en bons termes avec Aziz et accepte le
justificatif;
- Aziz rassure
Ould Dadde et lui promet une liberté définitive (en d’autres termes, il
retiendra le zèle de ses juges, s’il y a lieu)
- Aziz lui
donne le feu vert pour aller à l’étranger (en France) malgré que Ould Dadde est
supposé être en liberté provisoire (désormais il sera hors de portée de ses
juges)
- En
contrepartie, Aziz lui demande de « calmer » le jeu de ses détracteurs en
France tout au moins ceux qu’il peut joindre (« genre Mamère et compagnie,
verts et affiliés)
- Aziz,
paternaliste, assure Ould Dadde que « personnellement », il n’a rien à lui
reprocher et qu’il pourra compter sur lui si besoin est (en termes de
responsabilité futures face aux élections à venir), et qu’il aura toujours un «
programme » pour lui.
Ould Dadde sort
de chez Aziz convaincu de connaître ses ennemis réels, que la justice
mauritanienne ne pourra plus l’atteindre en France et que, ménageant Aziz face
aux échéances électorales proches, il pourra revenir aux affaires. Après tout
il aura toujours un « programme » pour lui.
En définitive,
l’on peut dire qu’un « Président » qui rencontre un prévenu en liberté
provisoire est un acte hors du commun. Cela ne se passerait pas dans un Etat où
il y a une séparation réelle des pouvoirs et un respect des institutions
exécutives et judiciaires. Mais on le sait, la Mauritanie est devenue une vaste
prison… ou la conscience a perdu toute résistance.
Et toute
résistance sans conscience « n’est que ruine de l’âme ».
Pr ELY Mustapha
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