Est-ce un coup d’Etat ?
Lorsque l’on veut analyser une situation, il convient de poser les concepts avec clarté. Tous les concepts qui dominent les débats (légalité, légitimité…) tournent autour d’un seul axe: le « Coup d’Etat».
La question est alors de savoir si l’acte entrepris par les militaires ce mercredi 6 Août 2006 , est qualifiable de « Coup d’Etat » ?
La réponse à cette question lèvera toutes les équivoques (I) et préparera alors à répondre ensuite à des questions subséquentes mais non moins importantes à savoir celle de la légalité et particulièrement de la légitimité de tel acte (II)
I- L’acte du 6 Août 2006, est-il un coup d’Etat ?
Lorsque l’on observe les attitudes en présence, l’on se rend compte que ceux qui rejettent cette qualification de « coup d’Etat » se basent sur les notions de « redressement » de la démocratie, de rectification d’une « déviation démocratique », d’une « rectification » d’une expérience démocratique « non achevée ».
Et c’est là où le bât blesse. La confusion entre l’argumentaire juridique et l’argumentaire politique. Le premier s’en tient aux textes juridiques , le second aux stratégies de gestion de la cité et particulièrement à l’idée ou à l’idéal que s’en font les acteurs politiques en place. L’argumentaire juridique se base essentiellement sur l’interprétation du texte et de son contexte, l’argumentaire politique sur la conviction idéologique, les intérêts partisans et le compromis.
Ce qui régit la vie politique et sa dynamique, c’est le cadre partisan (majorité, minorité, alliances), ce que régit le jeu politique reste indubitablement le cadre juridique.
Et ce cadre juridique prend sa source et se fonde sur un texte juridique fondamental, la Constitution.
Tout texte juridique de nature législative ou administrative, contraire à la constitution est nul et inapplicable. Suivant les systèmes juridiques, un contrôle de la constitutionnalité des lois peut être réalisé par voie d’action (recours devant le juge) ou par voie d’exception (invocation de la nullité de l’acte contraire à la faveur d’un jugement ne concernant pas l’acte lui-même). La constitution elle-même prévoit les modalités de sa révision au cas où un acte qui lui est contraire puisse recevoir application (c’est souvent le cas des dispositions introduites dans le droit interne par les conventions ratifiées par les Etats). C’est autant dire donc qu’aucun acte juridique interne ne peut contredire la constitution.
Suivant ce document fondamental l’acte du 6 avril 2006, est-il un coup d’Etat ?
Si l’on s’en tient d’abord à la logique, cet acte est un coup porté à l’Etat. L’Etat est bien l’objet d’un tel acte. Or si l’on se réfère à la constitution de 1991, l’article 24 dispose sans ambigüité :
« Le Président de la République est le gardien de la constitution. Il incarne l'État. (…) »
Et suivant le dictionnaire le Larousse : « Incarner c’est personnifier ». Constitutionnellement donc l’Etat est bien représenté en la personne du Président de la république.
Renverser le Président de la République, c’est bien faire un coup contre l’Etat. Donc un coup d’Etat.
Il n y a sur ce point aucun doute. L’acte du 6 août 2008 est bien un coup d’Etat.
Tout l’argumentaire officiel basé sur l’idée que les putschistes n’ont pas dissout le Parlement, et s’inscrivent dans une continuité étatique qui fait que leur acte n’est donc pas un « coup d’Etat », est irrecevable. En renversant le gardien de la Constitution et l’incarnation de l’Etat, il y une violation manifeste de la constitution et un véritable coup d’Etat.
D’ailleurs dans l’économie générale du texte constitutionnel et l’équilibre des pouvoirs (Exécutif, législatif et judiciaire) établi par la Constitution, la disparition de l’exécutif rend automatiquement caduque la possibilité d’exercice des autres pouvoirs (qui convoquera le parlement ? qui promulguera les lois ? etc.). L’axe central de la Constitution est le Président de la République. Chef de l’exécutif, symbole et personnification de l’Etat.
En définitive, juridiquement l’acte du 6 août 2006 est bien un coup d’Etat. Ni la préservation du parlement, ni même celle du gouvernement ou d’autres institutions n’enlève à cet acte cette qualification juridique.
II- Le coup d’Etat du 6 Avril 2006 est-il légal ou légitime ?
De ce qui précède, il découle que contredisant la constitution, le Coup d’Etat est forcément illégal. Un acte illégal est par définition l’acte qui est contraire à un texte juridique préétabli. Cette illégalité peut se concevoir quant à la forme ou quant au fond. Cette illégalité régit toute la procédure de recevabilité des actes (en la forme et au fond), des juridictions compétentes (civiles, pénales…), la nature de l’infraction (contraventionnelle, délictuelle ou criminelle) et de la sanction et des conséquences qui en découlent (amendes, privations légales de libertés etc.).
L’acte du 6 Août 2006 est donc bien illégal. Il l’est d’ailleurs à plusieurs niveaux. Outre qu’il viole l’acte fondamental de l’Etat, ce qui d’ailleurs emporte les conséquences les plus graves, il déclenche toutes les incriminations et sanctions prévues dans le code pénal et bien entendu les dispositions martiales relatives à de tels actes.
C’est autant dire que l’acte du 6 Août 2008 est bien un coup d’Etat, qui emporte toute l’illégalité que comporte sa qualification juridique.
Mais si l’acte du 6 Avril 2006 est illégal est-il pour autant illégitime ?
C’est à ce point précis que se réalise la jonction entre le droit et le politique, qui sans se confondre, accordent leurs argumentaires.
En effet, l’idéal juridique s’il existe voudrait que tout acte soit à la fois légal et légitime. Un idéal de société parfaite. Mais le droit devant des actes illégaux cède sous leur légitimité (sinon que seraient devenues les revolutions populaires?). En effet un acte peut être non légal et légitime. Toutefois pas n’importe qu’elle légitimité.
Rappelons-le comme dèjà un certain 3 Août 2005, nous l’avions fait dans notre livre « Pour demain ».
La règle de droit n’étant que l’expression de valeurs d’une société donnée à un moment donné de son histoire, il arrive que la valeur sociale entre en conflit avec la règle de droit ou tout au moins avec ce que les gouvernants font de l’édiction et de l’application de cette règle de droit.
D’où la contestation non pas, fondamentalement, de la règle de droit dont la nécessité formelle ne fait pas de doute (qui contesterait les libertés publiques garanties constitutionnellement ?), mais de la légitimité du régime politique en place. L’instrumentalisation du droit pour atteindre des objectifs contraires aux principes qu’il édicte (et qui prennent leur source dans des valeurs sociales) fait naître une crise de légitimité. Terroir propice à la contestation et aux révoltes.
La légitimité est acquise tant que le discours et l’action politiques sont conformes aux programmes politiques et au mandat que les électeurs ont confié aux élus.
Si cette conformité ne s’établit pas (socialement, économiquement…) sans toucher aux droits et aux libertés du citoyen, alors la sanction peut provenir des urnes (désaveux électoraux), si cette absence de conformité se double d’arbitraire, d’injustice ou de répression, la réaction peut alors être violente et remettre en cause le régime en place (coups d’Etat militaires, rébellions, révoltes civiles etc.)
La légalité fonde l’existence d’un régime. La légitimité explique sa contestation pacifique ou violente.
Un coup de force, à moins d’être justifié par lui-même, est dicté dans sa survenance par l’écart entre légalité et légitimité. En Mauritanie, cet écart a-t-il accusé des amplitudes qui expliqueraient ce qui est arrivé? C'est là où s'entrechoquent les argumentaires.
Sur le plan de la science politique et de l’analyse des phénomènes, un tel acte de force trouve son explication. Sur le plan du droit, le recours à la force, fut-il légitime, appelle impérativement le retour à la légalité constitutionnelle et à la réhabilitation des institutions politiques. Dans le cas contraire, la légitimité disparaissant avec la légalité, il n y a plus d’Etat.
Tout, désormais, dans l’état actuel des choses en Mauritanie, est de prouver que le détenteur du pouvoir renversé était en crise de légitimité justifiant l’acte illégal de son renversement.
Mais qui dans un Etat est à même de déclarer cette illégitimité si ce n’est le dépositaire même de la souveraineté, à savoir le peuple? Car seul le peuple peut consentir à déposer celui qu’il a élu. C’est le rejet de la légalité à travers la légitimité.
Ainsi, pour que ceux, qui renversent un régime démocratique légal, aient cette légitimité, il faudrait qu’ils aient le soutien du peuple. Tout l'enjeu politique est désormais là.
C’est là où le politique effleure le juridique.
Où le légitime défie le légal.
Où l’analyse politique, dans une perpétuelle quête du monde des possibles longe les frontières du droit, le monde de ce qui doit être.
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Pr ELY Mustapha
Pr ELY Mustapha
Merci Prof. J' espére que Mohamed-Mahmoud Ould Mohamedou lira cette clarification et refaire une autre interview avec un autre journal algérien. Sa position initiale n' a pas pris car les algériens ont dit niet aux thèses " non ce n' est pas un coup d' état". Merci aussi sur le billet concernant le Conseil de Sécurité que nous allons lire. Il faut que Aziz comprenne que les mauritaniens sont faux à 99% et faire très attentions aux conseils qu' il recoit. Avec son etiquette de pro-marocain, il nomme un PM qui aura la meme etiquette dans les jours qui suivent. Les algériens sont très méchants quand on est pas leur ami ou ... très neutre sur la question du Sahara. Si la junte a été portée au pouvoir en 2003 avec l' aide des US, il faut qu'ils comprenne que les états n' ont pas d' amis, mais des interets ... La façcon dont ils ont fabriqué la crise Sidioca-frondeurs ne pouvait que deboucher a leur destitution par Sidioca. En tant que mauvais strateges, ils n' ont pas compris que l' option qu' ils ont prise n' etait pas la bonne. Merci encore Prof Ely. A-
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