samedi 23 août 2008

Entre Charybde et Scylla


Mauritaniens, peuple d’Homère.

Dans l’Odyssée d’Homère, Ulysse naviguant sur les flots , à l’embouchure d’un détroit, eut à défier pour sa survie et celle de ses compagnons, deux grands dangers : Charybde et Scylla.
« Charybde et Scylla sont deux monstres marins de la mythologie grecque, dont la légende est à l'origine de l'expression "voguer de Charybde en Scylla", qui signifie "éviter un péril pour tomber sur un autre".

Plus précisément Charybde symbolise le « tout ou rien », la mort pour tous ou la vie pour tous, selon un jeu de probabilité. Et Scylla incarne la mort certaine pour une partie de l'équipage, mais la vie pour les autres. Il s'agit d'un choix entre le sacrifice calculé ou l'avenir aléatoire de la vie de tous. » (Wikipédia)

Le peuple mauritanien est-il tombé de Charybde à Scylla ? Où vogue-t-il encore vers Scylla pour éviter Charybde ?

L’on ne peut en effet, au-delà de la mythologie, que nous interroger sur ce peuple qui aujourd’hui oscille entre deux choix, tous les deux amères.
Faire revenir un président démocratiquement élu mais qui draine derrière lui bien des errements insupportables et qui géra l’avenir du pays au profit de certains, en sacrifiant d'autres(I) ou conserver un général putschiste, qui fait fi de la légalité qui risque d’entrainer le pays dans des sanctions économiques et financières avec des conséquences graves sur l'avenir de tout le pays mais qui promet monts et merveilles à un peuple en souffrance, pour la survie de tous (II).

Ici, Scylla, qui impose un sacrifice à ceux qui le suivent sur une voie démocratique avec un avenir promis à d'autres.
Là, Charybde qui , par son action, veut « tout ou rien », la vie pour tous, à travers ses promesses ou la misère pour tous, en subissant les sanctions internationales.

Entre Charybde et Scylla, entre l'avenir aléatoire de la vie de tous du premier et le sacrifice calculé du second, le peuple a-t-il donc le choix? Suivre un probabiliste ou suivre un calculateur (III) ?

I- Scylla, le Président élu : ou le choix en connaissance de cause

Ceux qui veulent le retour du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, ont au moins un avantage sur les autres : ils savent ce qui les attend.

Ils savent que ce Président a commis de graves erreurs dans la gestion de sa fonction, qu’il s’est entouré des personnes les plus répréhensibles de la République. Qu’il consacrait son temps à voyager, laissant les affaires publiques aux mains de personnes non recommandables. Que son entourage immédiat lui causait du tort et qu'il s’évertuait à le protéger. Qu’il n’avait pas l’oreille pour son peuple et vivait dans les hautes sphères de son environnement de conseillers en déconnexion du monde.

Nous avions consacré à cette dérive une dizaine d’articles et une lettre au moment du coup d’Etat adressée au président renversé (voir, ici, « lettre au Président Sidi Cheikh Abdallahi »).

Toujours est-il que le peuple Mauritanien, n’a pas senti la présence de son président. Il l’apercevait d'aéroport en aéroport poursuivi par une gente véreuse aux abois et qui siphonnait les richesses du pays.

Ceux qui demandent aujourd’hui le retour du Président savent tout cela. Ils savent que c’est un homme tranquille mais qui fut manipulé et dans son élection et dans sa gouvernance. Manipulé dans son élection puisqu’il fut soutenu par un lobby militaire et manipulé dans sa gouvernance par son entourage.

Aujourd’hui demander le retour du Président, est-ce accepter tout cela ? Peut-on connaître d’avance un mal et l’accepter ?

II- Charybde, le général putschiste : ou le choix en méconnaissance de cause

Ceux qui veulent le retour du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi savent ce qui les attend, ceux qui veulent le maintien du général Mohamed Ould Abdelaziz souhaitent ce qui les attend.

En effet, voilà un militaire putschiste qui leur promet monts et merveilles et qui veut faire table-rase des maux qui gangrènent la société et l’Etat et qui s’inscrit aux antipodes de l’action menée par le président renversé dans la gestion des affaires publiques.
Il leur insuffle un espoir de changement, une seconde vie. Mais cette vie est hypothéquée par les sanctions internationales économiques et financières et par l’instabilité sociale interne qui mine la cohésion du peuple ; à travers les contestations virulentes du système en place.

L’image que ce peuple a acquise, en ces quelques jours, de ce général, jusque-là effacé, est celle d’un jusqu'au-boutiste, qui utiliserait tous les moyens mis à sa disposition pour atteindre ses objectifs.
L’incarcération du président et de son premier ministre, l’interdiction des manifestations qui sont hostiles au putsch, la négligence des sanctions internationales et la mise en œuvre d’une politique de rapprochement des pays arabes pour soutenir son effort politique et financier et enfin ses objectifs à réaliser sur le long-terme, montrent bien qu’il entend rester aux commandes.

Cette volonté de pousser en avant et de s’allier l’opinion nationale, a fait naître sans qu’on s’en aperçoive, une "vibration" nationaliste. Vibration que pousseront certainement ceux qui le soutiennent à ses extrêmes. Tous les ingrédients sont là en effet, pour manipuler la fibre nationaliste. Un dirigeant qui s’oppose par ses actes à une communauté internationale qui veut affamer son peuple, n’est-ce pas là le début d’une réactivité nationaliste. Réactivité dont la dynamique est insoupçonnable et ses dérives encore plus.

Contrairement, enfin, au Président renversé caractérisé par la lenteur, l’indécision, le général putschiste se présente en homme d’action et de poigne. L’archétype du défenseur qui a les moyens de défendre le peuple contre ses agresseurs.

Mais ce peuple acceptera-t-il de cautionner des promesses d’un avenir radieux que bien des militaires avant lui, lui ont promis alors qu’il vit toujours dans la misère? De soutenir un putschiste qui vient par la voie des armes lui imposer sa volonté ? Qui a bouleversé son expérience démocratique, qui défie la légalité nationale et internationale et qui risque d’entrainer le pays dans une disette sans fin ?

III - Le peuple a-t-il le choix entre Charybde et Scylla ?

Ulysse, dit-on dans la légende, ne fit pas demi-tour. Il devait passer le détroit. Et Charybde et Scylla se dressaient sur son chemin. Il devait affronter l’un ou l’autre. Mais la légende veut que l’on ne puisse échapper à l’un sans tomber sur l’autre.

Le peuple mauritanien, tel Ulysse mène ce combat. Et tour-à-tour les manifestations populaires défient Charybde et veulent Scylla. Ou rejetent Scylla en invoquant Charybde.

Mais si Ulysse connaissait les points faibles de l’un ou de l’autre des monstres qui laminèrent sa flotte, il aurait probablement échappé à son destin. Homère, hélas, pour les compagnons d’Ulysse n’en voulut pas ainsi.

Entre le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi et le général Ould AbdelAziz, le peuple connait bien le premier et moins le second. Il connait sa gestion, ses errements et les pièges institutionnels dans lesquels il est tombé.

C’est autant dire que le retour de Sidi Ould Cheikh Abdallahi , ne sera pas un danger pour lui. Au Contraire, le peuple saura imposer un changement radical de sa forme de gouvernance. Car il n’est pas dit que si Sidioca revenait il serait toujours le même. Il saura tirer des leçons et apprendre des conséquences de ce qui lui est arrivé et ce que devinrent, à travers lui, les institutions de la République.

Mais au-delà de tout cela, le peuple reconduirait sa démocratie bafouée pour laquelle la personne de sidi compte moins que la symbolique présidentielle qu’elle représente.

Un réaménagement des pouvoirs, une révision de la constitution pour asseoir un pouvoir équilibré entre le premier ministre et le président, une redéfinition du rôle du parlement dans ses relations avec l’exécutif, l’institution de moyens de contrôle sur l’action gouvernementale et une mise en jeu des responsabilités des gestionnaires publics, l’interdiction des proches du président, ascendants ou descendants directs (épouse, enfants) , durant son mandat , d’exercer une haute charge publique (administration publique ou entreprise publique), de servir d’intermédiaire ou de négociateur dans toutes les affaires publiques de quelque nature que ce soit, d’entreprendre des projets publics ou de créer des organismes régis par les lois sur les associations etc. Une telle interdiction pourrait, par exemple, recevoir une compensation financière intégrée dans les émoluments du président.

Les solutions sont multiples. Il suffit de les envisager et de les concrétiser juridiquement.
Si Ulysse connaissait comment se débarrasser des griffes de Scylla et du souffle de Charybde, sa flotte aurait survécu. Mais la légende voulut qu’il tomba dans les tourbillons de Charybde.

Ainsi, pris aujourd’hui entre Charybde et Scylla, le peuple Mauritanien tel Ulysse se débat.

Enfin, dira-t-on plus tard que ce peuple, dans cette traversée trouble de son histoire, a su faire les bons choix qui ont préservé sa démocratie et perpétué sa volonté ?

Dira-t-on : tel ce peuple « heureux, qui, comme Ulysse, fît un beau voyage» ?

Pr ELY Mustapha

5 commentaires:

  1. Bonsoir cher Prof!

    Remarquable manière de décrire le dilemme de la Mauritanie que celle que vous avez adoptée dans ce texte.
    C'est sûr que le choix n'est pas facile, si on permettait aux mauritanien de l'exprimer.
    Vous aurez choisi laquelle des deux voies, vous?
    Moi, j'avoue que c'est amer d'avoir à choisir entre un dictateur impulsif et un régent incapable. Et d’en assumer pleinement les conséquences.
    Vous l'avez dit sans insister là-dessus, la vraie solution, à mon avis: s'asseoir et décider quel rôle sera dévolu à chaque institution.
    Mais en énumérant, vous avez oublié (omis ?) l'armée. L'erreur de notre première transition a été d'avoir reconduit en la "khaisalisant" la constitution taillée sur mesure par les juristes de Maaouya qui, soit dit en passant, sont toujours les juristes et « légalisateurs » de Aziz.
    Le khaissal, pour qui ne le saurait pas, est un terme wolof qui veut dire blanchir. Sa logique relève par essence du faux et de l’usage du faux, en connaissance de cause et de manière publique et consentie. C’est par la suite devenu toute une culture : peindre les façades des murs et bâtiments côté grande rue pour donner un visage moins délabré à la capitale quand il y a des hôtes, nettoyer la rue principale et la désensabler sachant qu’il n’y a presque pas de route secondaire, habiller les gens de neuf quand il faut accueillir le président, faire élire un président de façade pour ne pas se découvrir complètement… toute une logique, quoi !
    Si dans les républiques standardisées, l'armée n'a pas un rôle institutionnel parce que relevant d'un pouvoir qui détient une réelle légitimité populaire, soutenue par un rapport de force en faveur de la démocratie, il faut oser avouer que la nôtre de démocratie (en tout cas la transition démocratique que nous venons de vivre) tire sa légitimité de l'armée qui l'a accordée (le mérite ne lui revient probablement pas plus qu’à la mondialisation ; vous l'avez déjà constaté et expliqué maintes fois, professeur, dans vos articles: que la démocratie n'est pas encore une demande populaire en Mauritanie, même si tout le monde s'en accommode bien, en l'adaptant et en profitant chacun à sa façon) .
    Pour pouvoir conjurer le sort de l’Ulysse mythique et ne pas être obligés à chaque détour de choisir entre aller à Charybde ou à Scylla, trouvons une réponse réaliste et acceptée par nous tous, y compris notre armée et ses (son chef ?) chefs faiseurs de rois, à cette question : quel rôle pour l’armée (puisque notre peuple ne pèse pas encore dans le rapport de force réel au sein de notre pouvoir politique) dans la légitimation, la pérennité et le maintien de l’équilibre des pouvoirs dans notre pays ?
    Trouvons toutes les réponses possibles à cette question et nous aurons dépassé l’un des caps les plus difficiles de notre histoire politique moderne.

    Et merci mille fois, Prof! de nous permettre de larguer sur le Net nos idées, nos humeurs et même plus !

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  2. Vous avez fait une parfaite comparaison prof,tel Ulysse le peuple mauritanien se trouve devant des options difficiles et dangereuses mais a t il vraiment le choix?

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  3. Bonsoir cher prof!
    Choisissez la Mauritanie,en le faisant vous ne connaitre rez pas de dilemme ;
    L'intérêt bien compris de notre pays , de notre peuple,nous dicte de choisir entre un président mal élu et emmené par les militaires,comme il le reconnait lui-même,et qui a cherché, pour garder son pouvoir, à diviser le seul socle solide sur lequel est encore assis le pays tout entier c'est à dire l'armée nationale,et qui du reste l'avait fait roi,cet intérêt nous dicte de choisir
    la Mauritanie.
    Garder notre unité nationale, celle de nos forces armées,barrer la route à toutes interventions etrangéres dans nos affaires interieures et faire bloc contre les enbargos exterieurs,c'est nous semble-t-il l'attitude correct que nous dicte la situation actuelle;
    Le temps viendra, que nous espérons pas long, pour reprendre le processus démocratique,dejà initiée par les tenants actuels du pouvoir pour mettre en place un regime parlementaire transitoire,qui se faisant avec la pratique politique,installera definitivement le pays dans la democratie,la bonne gouvernance et le developpement economique.
    Pour le moment, defendons le mot d'ordre suivant:la MAURITANIE avant TOUT!
    IOMY

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  4. Cher Prof

    Je crois qu'il n'y a pas de choix possible entre "nos" Charybde et Scylla,entre la peste et le choléra.Contrairement à Ulysse qui ne pouvait pas contourner les deux monstres précités,nous,avec la volonté,nous pouvons emprunter une seule voie salvatrice,à savoir l'organisation de nouvelles élections présidentielles,libres et transparentes,tout en apportant les améliorations necessaires à notre processus démocratique(diminution des prérogatives du président,révision du rôle de l'armée,etc,etc).
    Merci
    A+

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  5. Comme tu l'as prédit la ligne de miel n'a pas duré longtemps juste 3 semaines... Ahmed est décidement intraitable reste à savoir qu'il doit choisir entre peste et cholèra.

    fils du bled

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Pr ELY Mustapha