jeudi 7 septembre 2023

L'Afrique entre Charybde et Scylla : Quête d'une souveraineté menacée. Par Pr ELY Mustapha

Dans le récit d'Homère, Charybde était un monstre marin qui créait un tourbillon dévastateur en avalant l'eau de mer, puis en la rejetant violemment. Scylla était un autre monstre marin qui vivait de l'autre côté d'un étroit détroit. Avec six têtes et douze jambes, il attaquait les navires passant à proximité.
Comme dans ce récit,  l'Afrique se trouve  prise entre deux créatures, Charybde (le camp occidental) et Scylla (le camp oriental). Ces puissances extérieures,  des Léviathans (au sens de Hobbes), poursuivent leurs propres intérêts stratégiques en Afrique, utilisant des tactiques néocoloniales pour préserver leur influence et accéder aux ressources du continent. Cette concurrence mondiale crée un climat d'incertitude qui complique encore davantage la quête de l'Afrique pour l'indépendance et la souveraineté.

L'Afrique, un continent riche en ressources naturelles, en diversité culturelle et en potentiel humain, est aujourd'hui à un tournant critique de son histoire. Elle est au cœur des défis auxquels font face le Niger, le Burkina Faso, le Mali, et par là même, l'ensemble du continent africain, dans une quête d'indépendance et de souveraineté politique et économique.

Héritage Colonial : Les Racines de la Crise

L'histoire coloniale en Afrique a laissé des cicatrices profondes et durables. Les frontières tracées arbitrairement par les puissances coloniales ont souvent ignoré les réalités ethniques et culturelles, créant des divisions internes. Les systèmes économiques extractifs ont laissé les nations africaines dépendantes de l'exportation de matières premières. Cet héritage persiste aujourd'hui, entravant le développement économique et politique. Les ressources naturelles, telles que l'or, l'uranium, et le pétrole, ont été exploitées massivement pour alimenter l'industrialisation des métropoles coloniales. Cependant, cette exploitation n'a pas bénéficié aux peuples autochtones. Au contraire, elle les a maintenus dans la dépendance économique, car les économies locales ont été structurées autour de l'exportation de matières premières, au détriment du développement de l'industrie et de la diversification économique.

Les frontières artificielles continuent d'être un facteur de division, tandis que la dépendance aux matières premières crée des inégalités économiques. Cette situation a ouvert la porte à des groupes extrémistes qui exploitent les frustrations locales et les tensions ethniques pour recruter des partisans. Le Sahel est devenu un théâtre d'opérations pour des groupes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Boko Haram.

La CEDEAO : Entre Aide et Ingérence

La CEDEAO, en tant qu'organisation régionale, a joué un rôle essentiel dans la recherche de solutions aux conflits en Afrique de l'Ouest. Cependant, elle doit naviguer habilement entre l'aide nécessaire et l'ingérence potentielle dans les affaires nationales. Une meilleure coordination et une plus grande transparence sont nécessaires pour que la CEDEAO puisse soutenir les nations africaines dans leur quête de souveraineté.


La CEDEAO (Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest) est une organisation régionale qui vise à promouvoir la coopération économique et politique entre ses États membres. Elle a joué un rôle important dans la gestion des crises en Afrique de l'Ouest, mais il est important de reconnaître qu'elle est parfois perçue comme ayant des liens étroits avec la France, en particulier en raison de l'histoire coloniale de la région. Cela soulève des questions sur son impartialité et son efficacité dans la résolution des problèmes de souveraineté, de sous-développement et de dépendance économique auxquels l'Afrique est confrontée.

Cette organisation a été impliquée dans la gestion des crises au Mali, au Burkina Faso et au Niger, des pays membres confrontés à des défis sécuritaires et de gouvernance. Cependant, il y a eu des critiques selon lesquelles son intervention n'a pas toujours été neutre. Par exemple, au Mali, lors du coup d'État de 2020, la CEDEAO a joué un rôle actif en imposant des sanctions contre les dirigeants militaires, mais elle a également été accusée de ne pas avoir pleinement consulté les parties maliennes et d'avoir favorisé les intérêts français dans la région. Cette partialité perçue peut compromettre la crédibilité de la CEDEAO en tant que médiateur impartial.

Au Burkina Faso, la France a été critiquée pour son soutien à Blaise Compaoré, l'ancien président, malgré des années de régime autoritaire. Lorsque des manifestations ont éclaté en 2014 contre son régime, la CEDEAO a tenté une médiation, mais la France a également exercé des pressions en faveur de la stabilité au détriment de la transition démocratique.

Les critiques soutiennent que la CEDEAO, soutenue par la France, peut parfois servir les intérêts géopolitiques et économiques français plutôt que les aspirations de souveraineté des nations africaines. Cela a entravé la capacité des pays membres à prendre des décisions souveraines qui bénéficient à leur développement économique et politique. L'exemple du franc CFA, une monnaie liée à l'euro et soutenue par la France qui est citée comme un symbole de la dépendance économique continue des pays de la zone CFA envers la France.

 

Dirigeants Africains : Défis et Limitations

L'un des défis majeurs auxquels l'Afrique est confrontée est le leadership. Bien que certains dirigeants aient fait preuve de vision et d’intégrité, mais vite éliminés (Sankara…) , d'autres ont été accusés de corruption et de népotisme. Les structures administratives, les systèmes juridiques, et les institutions politiques mises en place par les colonisateurs ont souvent été maintenues après l'indépendance. Cela a conduit à des régimes autoritaires, à la corruption, et à l'instabilité politique.

Les coups d'État militaires qui ont ébranlé ces nations ne sont que le reflet d'un opportunisme militaire qui s'appuie souvent sur le populisme plutôt que sur les véritables intérêts des peuples. Ces événements ont eu un impact dévastateur sur la stabilité politique, économique et sociale de ces pays, sapant ainsi les efforts visant à construire un avenir plus prometteur.

Ainsi ces coups d'État militaires ont secoué de nombreuses nations africaines. Souvent justifiés au nom du peuple, ils sont, le plus souvent motivés, par l'opportunisme politique. Pour sortir de ce cycle destructeur, l'Afrique cherche des solutions politiques pacifiques, de mécanismes de médiation, et de l'engagement de la communauté internationale.

Les Puissances Étrangères : Entre Intérêts et Altruisme

L'influence des puissances étrangères en Afrique est capitale sur son devenir. Le camp occidental, représenté en particulier, en Afrique francophone, par la France et ses alliés, cherche à préserver ses intérêts économiques et géopolitiques. De même, le camp oriental, incarné par la Russie et la Chine, poursuit ses propres objectifs stratégiques en Afrique. Le dilemme africain c’est de pouvoir doit entre ces intérêts divergents tout en cherchant à tirer profit de ses propres ressources.

Le camp occidental a historiquement été impliqué en Afrique par le biais d'investissements économiques. La France est le troisième plus grand investisseur en Afrique, avec une présence significative dans les secteurs de l'énergie, de l'agriculture, des infrastructures et des services financiers. Cela a conduit à la création d'emplois et au développement de certaines industries africaines.

Les pays occidentaux ont également fourni une aide au développement substantielle à l'Afrique. L'Agence Française de Développement (AFD), par exemple, a investi des milliards d'euros dans des projets de développement en Afrique. Cette aide a contribué à financer des projets d'infrastructure, de santé, d'éducation et de développement économique.

Les pays occidentaux ont signé des accords de coopération avec des nations africaines pour renforcer les liens économiques et politiques. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui vise à promouvoir le commerce intra-africain, a reçu un soutien de la France et de l'Union européenne.

Dans le camp oriental, la Russie et la Chine jouent un rôle croissant en Afrique ces dernières années, apportant des opportunités économiques et des partenariats stratégiques.

La Chine est devenue un acteur majeur en Afrique en termes d'investissements économiques. Entre 2005 et 2018, les investissements chinois en Afrique ont atteint environ 299 milliards de dollars, couvrant divers secteurs, notamment l'infrastructure, l'industrie, les télécommunications et l'énergie. Ces investissements ont contribué à la construction d'infrastructures cruciales telles que des routes, des ports, des centrales électriques, et des chemins de fer, ce qui favorise le développement économique.

La Russie quant à elle, a également cherché à accroître sa présence en Afrique, bien que ses investissements soient généralement moins importants que ceux de la Chine. Les secteurs d'intérêt comprennent l'énergie, les ressources naturelles, et la défense. Par exemple, la Russie a signé des accords pétroliers et gaziers avec des pays africains, renforçant ainsi les liens économiques.

La Chine a adopté une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays africains, ce qui est généralement bien accueilli par les gouvernements locaux. Cette approche respecte la souveraineté des États africains et contraste souvent avec les critiques du camp occidental, qui est accusé d'ingérence dans les questions politiques.

La Russie suit également une politique de non-ingérence, bien qu'elle puisse parfois soutenir des régimes autoritaires en Afrique. Sa milice (Wagner) est, toutefois, accusée d’ingérence de façon non dissimulée

Cependant, son approche politique est généralement moins interventionniste que celle du camp occidental.

La Chine offre aux pays africains une alternative aux partenariats traditionnels avec l'Occident. Les accords conclus avec la Chine ne sont pas nécessairement assortis de conditions liées aux droits de l'homme ou à la gouvernance, ce qui permet aux dirigeants africains de choisir des partenaires en fonction de leurs priorités économiques.

Bien que les investissements chinois aient contribué au développement de l'infrastructure, certains critiques soutiennent que la Chine pourrait contribuer à une dépendance économique accrue envers elle. Les prêts chinois à des taux avantageux peuvent engager les pays africains dans une dette considérable, ce qui peut compromettre leur indépendance financière.

La Russie de son côté, offre également une diversification des partenariats pour les pays africains, en particulier dans les domaines de la défense et de l'énergie. Cela peut renforcer la position de négociation des nations africaines dans un contexte mondial complexe.

La dépendance économique à l'égard de la Russie est moins courante en Afrique que vis-à-vis de la Chine. Cependant, dans les domaines de l'énergie, de la défense et des matières premières, les liens économiques peuvent potentiellement créer des dépendances.

La Russie et la Chine apportent des opportunités économiques et des alternatives politiques à l'Afrique, tout en respectant généralement la souveraineté des pays africains. Gérer ces relations pour éviter de devenir excessivement dépendantes de ces nouveaux partenaires, sera probablement un enjeu de taille pour l’Afrique. Le développement durable et la préservation de la souveraineté restent des objectifs essentiels pour l'Afrique dans ses relations internationales.

Le camp oriental, apporte donc, avec la Chine en tête, une capacité financière énorme pour financer des projets d'envergure. Le modèle de développement chinois est axé sur l'industrialisation rapide et l'infrastructure, ce qui peut stimuler la croissance économique africaine à court terme.


Quant au camp occidental, en particulier la France et ses alliés, il apporte l’expérience en matière de démocratie, de droits de l'homme et d'État de droit avec  une longue histoire de partenariat avec l'Afrique, ce qui peut favoriser la coopération.

Cependant, il est essentiel de noter que l'apport de ces acteurs comporte également des défis. Les investissements chinois peuvent entraîner une dette excessive pour certaines nations africaines, et le camp occidental a été critiqué pour maintenir des liens économiques qui ne favorisent pas toujours un développement équitable contrairement à ce qu’il prône pour le respect des droits de l’homme dans toutes ses dimensions, y compris celle économique.

 

La quête de Souveraineté, quelles voies ?

 

La solution pour l'Afrique doit résider dans une approche équilibrée, tirant parti des avantages des deux camps tout en garantissant que les partenariats favorisent véritablement le développement durable, la souveraineté et le bien-être des peuples africains. Il est essentiel de mettre en œuvre des mécanismes de surveillance et de redevabilité pour s'assurer que les investissements bénéficient réellement aux nations africaines.

Pour sortir de l'étau de Charybde et Scylla, l'Afrique a besoin d'une vision collective. Cela implique la promotion de la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, la formation de leaders responsables, et la consolidation des institutions démocratiques. De plus, la coopération régionale et internationale est essentielle pour résoudre les conflits et stimuler le développement.

L'Afrique se trouve à un moment crucial de son histoire. Pour atteindre l'indépendance politique et économique, le continent doit surmonter les défis hérités de la colonisation, naviguer habilement entre les intérêts étrangers, et forger un avenir fondé sur la souveraineté, la stabilité et le bien-être de son peuple.

Face à ces défis complexes, l'Afrique doit envisager des solutions concrètes pour sortir de cette situation.  

L'Afrique a besoin de dirigeants engagés, visionnaires et responsables, capables de placer les intérêts de leur pays avant leur propre intérêt. Le renforcement de la démocratie, de la transparence et de la redevabilité est essentiel pour mettre fin aux cycles de corruption et de mauvaise gouvernance.

Il est impératif de renforcer les institutions politiques, économiques et judiciaires pour garantir une gouvernance efficace et stable. Les réformes visant à promouvoir l'État de droit et à lutter contre la corruption doivent être prioritaires.

D’autre part, l’unité continentale est cruciale pour faire face aux pressions extérieures. L'Union africaine (UA) doit jouer un rôle plus actif dans la résolution des conflits, la promotion de la coopération régionale et la défense des intérêts africains sur la scène internationale.

Les économies africaines doivent s'éloigner de la dépendance aux matières premières et promouvoir la diversification économique, l'industrialisation et l'investissement dans l'éducation et la technologie. Sur le plan international, l’Afrique doit maintenir des relations diplomatiques équilibrées avec toutes les puissances mondiales, évitant de tomber dans le piège de la rivalité entre le camp occidental et oriental. La diplomatie africaine doit mettre en avant les intérêts du continent.

Enfin, la jeunesse africaine sera le moteur essentiel du changement. Il est crucial de fournir des opportunités éducatives, économiques et politiques aux jeunes pour les impliquer dans la construction d'un avenir meilleur.

ELY Mustapha

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