Ô cher ministrable, Excellence de demain,
Sais-tu qu’être ministre en Mauritanie, c’est ne décider de rien mais servir de faire-valoir à des décisions qui t’échappent ?
Sais-tu que tu ne peux nommer aucun proche collaborateur par toi-même et que toute nomination t’échappe car même si tu ne fais que proposer, c’est le Premier ministre (PM), qui avec l’assentiment du Président, dispose et tout doit être validé en conseil des ministres.
Tes conseillers, tes chargés de mission, les directeurs généraux, les directeurs adjoints de ton département, tu ne les nommes pas. Tu proposes et tu attends.
Tu proposes et tu attends que le PM et le Président disposent.
Et ne crois pas que ta proposition sera seule en lice, le PM y ajoutera d’autres nom qui viendront en concurrence à ta proposition devant le Président. Alors de deux choses l’une, ou en conseil des ministres tu verras passer d’autres que ceux que tu as proposés, ou, mieux encore, tes propositions dormiront dans les tiroirs du Premier Ministre et tu n’en sauras jamais rien.
Les ministres sont, en Mauritanie, des boites à lettres, des agrégateurs de décisions qui leurs échappent, des façades de politiques qui les dépassent.
Certains savent qu’on les appelle « excellence », non pas pour leur excellence dans le travail mais dans leurs excellentes relations avec… leurs collaborateurs qu’ils ne peuvent pas remplacer.
Ils sont les validateurs de nominations dans leurs départements faites sur des dosages tribaux, claniques, d’intérêts personnels et de projections électorales. C’est autant dire que le fameux appel aux compétences est un leurre et que la fonction actuelle de ministre est incompatible avec toute volonté de son détenteur de bien-faire.
Certains ministres nommés craignent même de renouveler leurs conseillers, ou de « toucher » à des postes de leurs départements car ils sont avertis que derrière chaque haut emploi au sein de leur département, il n’y a pas une compétence …mais un nom. Un emploi personnifié qui tire son existence non pas des capacités professionnelles de son détenteur, mais du lobby (tribal, politique, économique etc.) qui l’a placé là.
Il y a des conseillers, véreux, notoirement, des DG et des DGA, inamovibles et qui tiennent la dragée haute à leurs ministres, à telle enseigne que ces derniers, pour, ne pas sombrer dans l’indignité, préfèrent les considérer comme n’existant pas…dans leur département. Ils les ignorent car ils savent que pour s’en débarrasser c’est la croix et la bannière et qu’ils risquent même d’y laisser des plumes.
Les nominations, en Mauritanie ignorent la compétence, telle que celle que pourrait réclamer un ministre pour son département. Elles sont un instrument de politique politicienne qui n’a que faire de la bonne gouvernance, de l’efficacité professionnelle et de l’intégrité morale dans la gestion publique.
Alors, le ministre nommé, gérera l’existant. S’il est compétent et ayant la volonté de vouloir changer les choses, il aura à faire face à ces aléas et devra passer la moitié de son mandat à faire la navette entre la primature et son département pour obtenir des collaborateurs lui permettant de réaliser sa mission, ce qui est une gageure et le reste de son mandat à gérer l’ingérable, une pléthore de personnel, dont la gestion, tout comme son intérêt pour son département lui échappent.
Alors dans ces conditions ou il démissionne et c’est en Mauritanie, un acte aussi rare que le passage de la comète de Halley, ou il cherchera à vouloir changer les choses en espérant que le temps sera son allié, alors que le temps lui est compté, ou enfin, il acceptera la situation, jouera le fayot du Premier ministre, se soumettra, transigera, rampera et profitera de l’air conditionné de son bureau qui est tout aussi conditionné que lui-même. Et dans tout cela le premier perdant c’est le pays, car depuis des décennies, c’est ainsi que fonctionne l’Etat.
Des départements phagocytés par des incompétences contre lesquelles les chefs de département ne peuvent rien, des chefs de département dont le portefeuille de compétence est aussi vide que celui de la ménagère de « Ten soueylem. »
Alors être ministre, sans pouvoir de nomination de ses collaborateurs et des postes-clefs de son département lui permettant de mener à bien sa mission, à quoi cela sert-il ? Son département regorgeant de nominations de complaisance et qui même parfois engendrent le ridicule.
En effet, il suffit de parcourir, les nominations en conseil des ministres ces dernières années pour s’en convaincre. En voici de véritables exemples de nominations :
- Chef de service informatique, diplômé en chariaa .
- Directeur du service finances, géologue
- Chef département économie : Diplômé en résistance des matériaux
- Chef du service contentieux : secrétaire
- Chef du service de la documentation et des archives : aide-comptable
- Etc. etc.
Les exemples sont extrêmement nombreux et cet article ne suffira pour les énumérer, toujours est-il que toute l’administration mauritanienne souffre des nominations au dosage d’une politique politicienne peu soucieuse de l’intérêt de la nation. On comprend alors pourquoi le pays va mal, pourquoi la gestion des ressources publiques est une corruption généralisée, des détournements et des malversations qui ont conduit aujourd’hui des dizaines de haut responsables devant la justice.
Du mental du fonctionnaire et de la coexistence pacifique
Tout celui qui prétendra à la fonction de ministre devra connaître les faits suivants :
- Il ne pourra pas décider lui-même de ses propres collaborateurs, et donc s’il pense qu’il pourra placer à son gré et suivant les besoins de la gestion de son Département des compétences pour réaliser sa mission devra mettre de « l’eau dans son zrig ». Il est ministre, certes, mais juste de lui-même, pas de son département, pour ce dernier on décidera pour lui, un peu plus haut à la primature et à la présidence et en concert avec les lobbys d’influence.
- Qu’il sache que ses hauts fonctionnaires (Conseillers, chargés de mission, DG et DGA…) ne sont pas là pour lui. Mais pour…d’autres. Ces autres qui le sont placés par là et contre lesquels il ne peut rien. Donc son pouvoir de nomination, comme montré plus haut est réduit à attendre qu’il valide ceux que ...l’on nommera pour lui. Et avec lesquels, il doit non pas gérer son département mais… coexister. Pacifiquement, de préférence
- Qu’il sache que si son département, son ministère, ne fonctionne pas c’est parce que tous ses hauts fonctionnaires (Conseillers, chargés de mission, DG et DGA…), n’ont qu’un objectif, et ce n’est pas celui de travailler pour le département, mais de travailler pour eux-mêmes et pour leur pérennité dans leur postes, emploi et fonctions. Ils sont un « placement » pour (et par) autrui, et une « affaire » salariale pour eux-mêmes.
- Le premier constat que fera un ministre prenant fonction, c’est l’extraordinaire taux d’absentéisme des fonctionnaires. Le fonctionnaire ne vient pas à son bureau. Et extraordinairement, tous les hauts fonctionnaires, ne passent leur temps à courir vers les responsables qui les maintiennent à leur poste. Qui sont soit des potentats dans le commerce, soit à la présidence, soit au Premier ministère. Chaque haut fonctionnaire sait que son avenir professionnel ne dépend pas de son ministre mais du lobby qui l’a placé là. Alors pourquoi s’occuperait-il à travailler ? Son emploi et sa fonction sont garantis tant qu’il œuvre et fait allégeance pour celui qui l’a placé là. Et l’on comprend alors pourquoi règne la corruption, l’impunité et la criminalité financière organisée.
- Très souvent dans des ministère, comptant des milliers de fonctionnaires, une poignée de personnes travaille. Ainsi le ministre ignorera (pour les raisons précitées et son impuissance à pouvoir changer son staff), la majorité de ses collaborateurs, pour ne travailler qu’avec une ou deux personnes de son cabinet. La même situation, pour les DG qui travaillent uniquement avec une ou deux personnes de leur direction, ignorant toutes les autres à cause de leur incompétence, de leur absentéisme etc.
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Redorer le blason de la fonction ministérielle, un référentiel de compétences.
Il est donc impératif pour que la fonction ministérielle ne soit pas une coquille vide, ou qu’elle ne serve que comme courroie de transmission, d’une politique politicienne, de redorer le blason de cette fonction. De supprimer cette « infantilisation » de la fonction mettant le ministre dans une situation de dépendance permanente à l’égard du choix de son personnel et donc de sa capacité à gérer avec les compétences qu’il faut son département et la mission qui lui est confiée.
Il faudrait que le Premier ministre n’ait qu’un droit de regard sur les propositions du ministre et être lié par les justifications qu’il apporte dans l’intérêt de son département.
Il faut lever le « blocage » imposé aux ministres de choisir leurs collaborateurs et établir un référentiel de compétences et de métiers de la fonction publique générale (corps commun) et de l’administration publique spécialisée (corps technique) qui serait le seul justificatif de la nomination.
Tout recrutement et toute nomination se feront par recours au référentiel de compétences et métiers, qui doit lister, décrire, spécifier toutes les conditions qui déterminent pour chaque poste, en terme de savoir, de savoir-faire et de savoir-être (diplôme, expérience) ce recrutement et cette nomination et les rapporter aux justificatifs administratifs de l’acte de nomination ou de recrutement (carrière, ancienneté).
Ainsi une proposition de nomination transmise par un ministre devra comprendre toutes les justifications et notamment l’extrait du référentiel métier afférent au poste (auxquels s’ajoutent les justificatifs de carrière et d’exercice du fonctionnaire.)
La proposition de nomination doit être une notification aux services du PM, qui doit être insérée dans un rôle nominatif des nominations à proposer. Ce rôle nominatif doit être transmis au PM qui au vu des propositions du ministre dûment justifiées (professionnellement, administrativement, budgétairement), le valider et proposer la nomination en conseil des ministres. Cette proposition doit être neutre.
En effet, cette neutralité signifie que seule la compétence et les droits y afférent doivent être pris en compte et aucun autre critère tribal, racial, politique ne doit être pris en considération. En effet, il y va du respect de la volonté du ministre, de son besoin en compétences pour réaliser sa mission et donc de l’intérêt de la gestion publique.
Toutes les nominations doivent suivre cette procédure. Il faut absolument que le fonctionnariat puisse être un fonctionnariat de compétence au servir du développement du pays dans tous les secteurs. Fonctionnariat de compétence dont le choix doit être laissé aux ministres car c’est sur ses performance qu’ils seront jugés.
Le ministre assurera alors pleinement et avec efficacité son dédoublement fonctionnel (autorité politique et autorité administrative).
En tant qu’autorité politique, membre d’un gouvernement, il sera le véhicule de la politique gouvernementale dans l’orientation de l’action de son département.
En tant que qu’autorité administrative, chef de son département, il sera responsable de son action et de celles de ses fonctionnaires qu’il aura librement choisis, pour la réalisation des objectifs de son ministère. Objectifs sur lesquels ils devra rendre compte dans l’intérêt de la nation.
Si ce n’est pas le cas, alors la fonction de ministre en Mauritanie, ne serait qu’une étiquette collée au dos de l’Etat sur laquelle il serait écrit : « Ceci est un ministre, tout le monde sait qu’il est là, ses collaborateurs savent… pourquoi ils sont là, mais, lui ne sait pas…. pourquoi il est (encore) là ».
Alors, Ô ministrable sans voix, Excellence de demain d’un ministère sans voie, bats-toi…
Pr ELY Mustapha
Excellent, cher prof. Toujours un grand plaisir de vous lire. j'espère qu'ils comprendront ce grand message éclairé.
RépondreSupprimerMerci. On informe et le reste est une affaire de choix. Mais un homme averti en vaut deux.
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