Dieu joue-t-il aux dés?
Mon attention a été attirée par un message reçu d’un étudiant nouvellement orienté à l'Institut d’études et recherches islamiques d’Aioun (ISERI) , alors qu’il a obtenu un bac scientifique. ll s’avère en effet, à la lecture du procès verbal de la commission d’orientation du ministère de l’Enseignement supérieur en date du 1er novembre 2012 (consultable ici), qu’un nombre de bacheliers de la filière D, ont reçu cette orientation. La raison invoquée est la faiblesse de la moyenne obtenue au bac. Mais comme d’habitude et comme toutes les raisons qui suintent de la conscience de nos gouvernants, il s’agit là d’un argumentaire fallacieux qui ne s’appuie ni sur l’objet de ce bac , ni sur la formation de son titulaire et encore moins de ses capacités de suivre des études littéraires et théologiques.
Aussi après avoir inauguré et consacré le gaspillage des ressources naturelles et financières du pays, voilà que les responsables du pays se mettent à gaspiller les ressources humaines. Ce ne sont ni les moyennes au bac , ni même les capacités réceptives des institutions de formation nationales qui doivent dicter de tels gâchis. Car ce que les responsables à l’origine de cette décision ne savent pas, c’est qu’une orientation est un avenir et un scientifique orienté vers des filières littéraires finira par décrocher, abandonner ou ne jamais y aller. C’est le chômage et la délinquance.
Voilà un exemple de ce qu’il est advenu de l’enseignement en Mauritanie.
Ceci dit, cette orientation aurait eu un sens si les études islamiques actuelles laissaient une place au savoir scientifique. Ce qui n’est hélas pas le cas. En effet, un érudit en Théologie qui saurait expliquer la théorie de la relativité restreinte, comprendre la Sociologie d’Ibn Khaldoun , de Weber et la Phénoménologie de l'esprit de Hegel, serait plus tolérant. Les “érudits” d’aujourd’hui sont loin de ceux des siècles du prophète qui portèrent haut et fort la pensée islamique. C’était des théologiens mais aussi des médecins, des chirurgiens, des botanistes, des philosophes, des historiens; pas nos oulémas d’aujourd'hui qui s’enferment dans la glose et la post–glose. Nous avions pu écrire à l’occasion d’un article précédent sur ce blog ( De l’obéissance au gouvernant en islam) à propos de la nécessité de revoir les concepts de “ilm” (savoir) et de “Alem” (savant) en Islam:
“Ce sont les oulémas islamiques des premiers temps. Ces oulémas étaient non seulement des docteurs de la religion mais ils étaient des scientifiques (médecins, mathématiciens, botanistes, logicien, pharmaciens, philosophes, anthropologues etc.).
Il suffit de dresser la liste des savants musulmans pour constater que les érudits étaient versés dans plusieurs disciplines scientifiques et ne s’enfermaient pas dans l’étude des textes religieux.
L’ouléma d’aujourd’hui est un pur produit des mahadras et autres écoles religieuses qui ne lui donnent d’horizon que les programmes liés à sa discipline. Aucune place n’est laissée aux sciences humaines et encore moins aux sciences exactes.
Il est enfermé dans la connaissance des sources principales de la religion, le Coran et la Sunna, les méthodes d’interprétation et de divulgation ainsi que la doctrine et la jurisprudence qui lui sont attachées. Ni la philosophie, mère des sciences, dans toute sa dimension universelle (sans exclusion de courants de pensées), ni l’histoire de la pensée, des idées , des faits politiques, sociaux économiques ne sont intégrées dans les cursus des institutions de formation religieuse. Or la conviction religieuse et la solide détention d’un savoir, passent par la connaissance de l’homme et de son œuvre sur terre, car c’est à travers l’homme, représentant de Dieu sur terre, que l’on connait Dieu.”
Dans mon livre (publié aux éditions cultures croisées-Paris. 2007) “Oualata” j’avais décrit le véritable Alem (savant théologien) des siècles à venir. Le voyageur dans ce roman décrit la Mosquée de Boutilimit en l’an 2254:
“Nous traversions actuellement l’espace de l’une de nos villes les plus florissantes : Boutilimit la sublime. A plus de 150 kilomètres de Nouakchott la magnifique, Boutilimit est l’exemple même de l’hospitalité. Dès l’entrée de son espace aérien vous recevez des messages de bienvenue et chose remarquable, une délégation aérienne vous accompagne jusqu’aux portes de la ville. Elle vous fournit une assistance en tout et pour tout. Vous repartez toujours avec le sentiment que vous allez revenir.
Une ville d’Oulémas, savants qui ont avec ceux de Chinguitty donné à notre pays les fleurons de la technologie moderne. Ainsi à Boutilimit, les Mahadras, écoles coraniques, suspendues entre ciel et terre , sont alimentées par des énergies renouvelables, découvertes et mises en œuvre par les prédicateurs. Ces derniers sont des savants et non pas seulement des « psalmodiateurs» de versets coraniques.
En effet, un décret de notre 2ème président, vachement bien élu de Mauritanie heureuse, dit « décret du retour aux sources du savoir » avait réorganisé tout le système d’enseignement religieux. Ainsi tous les corps sortant des mahadras et autres institutions d’enseignement religieux reçoivent les mêmes charges horaires dans les matières religieuses et dans les sciences exactes.
Ainsi nos imams peuvent aussi bien vous expliquer le saint livre que la théorie de la relativité générale. Cette ouverture rejetant le dogmatisme a fait progresser l’enseignement religieux de façon fulgurante et a constitué un véritable retour aux sources car les savants des temps anciens pouvaient être à la fois théologiens, mathématiciens, philosophes, médecins etc. Leur foi s’affermissait à la découverte des sciences qui les rapprochaient de Dieu.
Ainsi on doit la Mosquée centrale de Boutilimit à un Imam mathématicien architecte qui la conçue sur une base quadratique sur laquelle s’élèvent des voûtes de cristal dont la réverbération sur le Mihrab (pôle de prière) reproduit en rayons scintillants la syntaxe des versets coraniques. Il a utilisé son savoir dans la psalmodie du coran pour calculer avec précision le mouvement des spectres lumineux qui s’alternent comme des mots, sans lettres, reproduisant une psalmodie en brins de lumières.
Un monument objet d’études dans les écoles d’architecture du monde entier.”
En définitive, soit les responsables de l’enseignement supérieur chargé de l’orientation en Mauritanie ont lu mon livre, ce dont je doute beaucoup, soit comme à l’accoutumée, comme tous les responsables du pays , ils pataugent dans les improvisations irréfléchies qui détruisent les piliers mêmes de la nation. Les ressources humaines à l’instar des ressources naturelles en sont les premières victimes.
Nos responsables politiques dans leur déterminisme de tout régir, croient-ils vraiment que le bon “Dieu joue aux dés”1?
Pr ELY Mustapha
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1. Sur la philosophie déterministe voir cet article de Wikipédia
Je crois qu'en raison de l'absence de structures nationales d'accueil des bacheliers et le repli constaté au niveau de certains pays arabes et amis à aider la mauritanie en matière de formation des cadres, à part la Tunisie et le Maroc, les autorités actuelles sont obligées à rechercher localement pour placer tous les bacheliers dont les effectifs sont en croissance continue eu égard au fraudes pratiquées avec méticulosité dans les centres d'examen, les fuites des épreuves et la complicité parfois explicite de certains centres d'examens à l'intérieur du pays entre le trio: administro-profo-élève. Cette politique de placement forcé des bacheliers pourrait certainement mener à inscrire des bacheliers techniques dans la filières telles que Limama(être imam d'une mosqué), Khitaba et le prêche, nouvellement ouvertes à l'ISERI. En d'autres termes, le pays n'a toujours pas l'intention dépenser de l'argent pour créer des structures nationaux, en plus de la dilapidation de ressources constatée à plusieurs niveaux du ministère de l'éducation nationale.
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