Biram s’enflamme
On peut critiquer les idées que véhicule un livre, s’inscrire en faux par rapport à la pensée qu’il prône mais on ne doit jamais le brûler.
Brûler un livre, c’est croire que l’on tire un bénéfice de cet acte, et c’est tout le contraire.
Expression d’une religion, d’une culture ou d’une science, le brûler c’est porter atteinte à la civilisation universelle. Nul n’a le droit de brûler un livre parce que ce livre contredit ses opinions ou sa pensée car cet acte est l’expression d’une défaite intellectuelle et morale de celui qui le brûle. Car à défaut de pouvoir aligner face au livre décrié, un autre livre de même valeur annihilant par la même sa portée, le brûler c’est affirmer sa faiblesse de pensée et de convictions.
L’autodafé, qui est le terme consacré à la destruction des livres par les flammes, a toujours été à travers l’histoire, une volonté de détruire les consciences, les idées, de confisquer les libertés et d’emprisonner le libre-arbitre.
L’autodafé est un acte de destruction de la pensée humaine, de démolissement des civilisations et du vouloir d’enterrer la conscience de l’homme ou les traces des civilisations.
Lorsque le dernier royaume Andalou s’effondra en 1499, l'archevêque Gonzalo Jiménez de Cisneros ordonna de brûler toutes les œuvres andalouses, jetant ainsi au feu l’inestimable production littéraire, philosophique, scientifique de l’Andalousie islamique. Des bibliothèques entières de plus de sept siècles de civilisation partirent en fumée. Un autodafé pour faire oublier, sinon tuer toute une civilisation. Le livre était à la base de cette civilisation du savoir qui a rayonné sur toute l’Europe.
L’empereur Qin Shi Huangdi, plusieurs siècles auparavant brûla les livres des adeptes de Confucius, portés contre sa politique. Et des siècles plus tard on brûla les livres du patrimoine culturel chinois sous « la révolution culturelle ».
Biram, n’aurait pas dû brûler les livres des jurisconsultes et savants malékites. Ce n’est là ni un symbole, ni un mot d’ordre qui sied dans une société musulmane…malékite.
Décrier la manière dont ils traitent la question de l’esclavage en Islam est une chose, brûler leurs œuvres est une mauvaise stratégie. Et du point de vue des valeurs et de la morale elle est répréhensible. Car se voulant faire un geste politique, Biram a porté atteinte à la conscience et à la conviction religieuse de toute un société.
Biram n’a-t-il pas compris que les livres du rite malékite n’appartiennent à aucune politique, ni majorité, ni opposition, ni blanc ni noir mais appartiennent à une conscience religieuse collective et qu’il n’est pas en droit d’y toucher sinon par un argumentaire religieux de même nature et non point par la destruction des livres de ses guides spirituels.
Que Biram comprenne qu’en brûlant les “œuvres”de droit ou de faits de tous les jurisconsultes musulmans, en commençant par le fondateur du rite Enes ibnou Malek ,en passant par ceux de l’Imam Sahnoun, Ibn Abî Zayd Al-Qayrawânî, Asad ibn al Furat, Abû Bakr Ibn At Tayyib Al Bâqillânî, Al-Qâdhî 'Iyâdh, Ash Shâtibî etc…etc…, il ne fait pas de la politique, il commet un acte antiproductif, répréhensible et, pire encore, dangereux.
On le sait depuis belle lurette: tous les autodafés de l’histoire sont en fait l’expression de l’acte de brûler l’auteur à travers son livre. Et comme, le soulignent bien des écrits historiques, l’autodafé, n’est que le prélude au massacre des personnes.
« Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes »
« Ce n'était qu'un prélude : là où l'on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. » (« Das war ein Vorspiel nur, dort wo man Bücher Verbrennt, verbrennt man auch am Ende Menschen. ») avait dit le poète et journaliste allemand Christian Johann Heinrich Heine, à la suite de l’autodafé de dizaines de milliers de livres par les nazis 1.
L’empereur Qin Shi Huangdi fit, en même temps qu’il brûla leurs livres, enterrer vivants 460 lettrés. On sait aussi ce qui arriva au Cambodge des khmers rouges pour les intellectuels, dont les œuvres furent abolies et dont les auteurs périrent dans les champs. Ce qui advint de même aux intellectuels durant la « Révolution culturelle » chinoise 2.
Quand on cherche à détruire, une image, une idée, un pensée, un courant idéel une philosophie, on brûle son contenant (le livre), puis ne pouvant bruler son contenu (la pensée) car insaisissable, on finit par brûler son auteur. L’autodafé n’est que l’antichambre du bûcher.
Telle était aussi le but du Pasteur Américain Terry Jones en voulant brûler le saint Coran, des soldats américains spoliant le saint Coran, au Pakistan…etc.
Biram en brûlant les livres des jurisconsultes malékites, ne pourra pas détruire leur contenu. Et il ne pourra pas non plus mettre leurs auteurs sur le bûcher. Reste alors tout le peuple malékite!
C’est autant dire, que vouloir dénoncer une injustice c’est d’abord la combattre par l’idée et la pensée et non en détruisant le support physique de la pensée de son contradicteur. Biram veut faire de son geste un symbole de la réaction antiesclavagiste, ce geste ne sera que ce que les Malékites y percevront : une atteinte à leur conscience religieuse.
Biram a confondu entre la symbolique de son combat d’ici-bas (lutte contre l’esclavage) et la symbolique du salut de l’au-delà (la conviction religieuse). Et l’autodafé est pour les livres, ce que le bûcher est pour l’humain. Œuvrons pour que jamais le second n’arrive et pour que le premier ne puisse être un « prélude » au second.
La Mauritanie a besoin de sa religion dans l’unité et la tolérance. Le spirituel doit être préservé de la symbolique politique. Le contraire, n’engendre que l’imprévisible.
Pr ELY Mustapha
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