dimanche 28 mars 2010

Je reviens de Nouakchott


Ould Abdel Aziz a besoin d’un fusible


Je suis rentré hier soir de Nouakchott, après une escale de détente suffocante dans la ville de poussière. Nouakchott.

Mon œil contemplateur du voyageur incognito (et pour cause) que je suis, m’a permis de remarquer que Mohamed Ould AbdelAziz est en train de faire de bonnes choses (il faut bien que je retourne ma veste de temps à autre non ? Sinon comment serai-je nommé à un poste quelconque ?).

Oui, vous avez bien lu. Le putschiste devenu président est en train de réfectionner toutes les routes de Nouakchott. D’autre part, les vieux tacots de Nouakchott et les voitures illégalement importées ou n’ayant pas payé les droits de Douanes sont en voie de disparition, comme les dinosaures.

J’ai, en effet, pu constater de visu, que l’asphalte a pris un coup de neuf et une peur bleue tenaille les possesseurs de véhicules non dédouanés. Ainsi, ces derniers n’empruntent que les voies impraticables pour échapper aux brigades douanières qui sillonnent la ville. Ils ne profitent pas de l’asphalte du président.

En fait, une peur bleue tenaille tout le monde. Les fonctionnaires, les premiers se sont vus drastiquement réduits en nombre. Et ceux qui possèdent encore miraculeusement un emploi ont une peur bleue, non pas du vendredi (jour du seigneur) mais du mercredi (jour de Ould Abdel Aziz).Ils craignent le Mercredi comme le jour dernier. Le mercredi c’est le jour de conseil de ministres où le général, dit-on, tonne de mille feux contre ses ouailles. Et le communiqué issu de ce conseil est tellement attendu que chacun "cauchemardise" d’y laisser la peau… de son bureau.

Quant au général, il est très proche du peuple, il parcourt les quartiers populaires où il tient des discours tellement populaires que chacun se demande si le général président n’a pas été dans une vie antérieure (à Sidioca) charretier. Un socialisme-populiste qui étonne ses adversaires qui le prennent parfois pour un stakhanoviste des dunes.

Toujours est-il que Ould Abdel Aziz, triomphe. Il surfe sur la sensibilité populaire et promet monts et merveilles de "Hay essaken" à "Neteg jembe". L’eau, l’électricité, les écoles, les hôpitaux … Bref tout ce qui manque et tarde à venir. Aziz a pris le contrepied de son prédécesseur, il va au peuple, il a un parler franc, il promet…il promet.

Mais Aziz est-il sur la bonne voie ?

Telle est la question qui se pose à propos de ce président qui très visiblement navigue à vue. Nous l’allons voir dans les lignes suivantes. Nous partirons d’un constat empirique issu de notre discrète (LOL) présence à Nouakchott (I), pour montrer que Aziz est en train de courir de sérieux risques pour son régime et pour sa personne du fait de l’insouciance totale qu’il affiche quant aux mécanismes institutionnels de sa protection. Ce ne sera pas, en effet, le premier président mauritanien mal conseillé et qui eût à en pâtir. Il n’a pas prévu dans un circuit politico-social en surchauffe, le « coupe-circuit » adapté pour assurer la continuité de son action. Sans « fusible » politique, le temps d’Aziz est compté. Un compteur dans un circuit surchauffé sans disjoncteur (II).

I- Confusion entre superstructure et infrastructure

L’on pourrait croire que tant d’efforts d’un général qui cherche la crédibilité devraient augurer d’un climat national serein, mais il n’en est pas ainsi. Au contraire, le climat social est très tendu. Les raisons principales, les plus ostensibles, en sont les suivantes :

- Le pouvoir d’achat s’est fortement détérioré
- La liquidité monétaire s’est drastiquement réduite

Les ménages sont surendettés tant auprès des commerçants de proximité qu’auprès du système bancaire. Le niveau des salaires ne suit pas le mouvement des prix et leur régularité est aléatoire.

Les entreprises n’investissent plus et l’offre en biens et services s’est réduite accompagnant une baisse de la demande, signe d’un ralentissement économique qui appauvrit le pays et participe à l’usure du capital des agents économiques sous l’effet de la non-croissance.
Aziz n’a pas compris que le discours populiste, même s’il s’accompagne de réalisations d’infrastructures ostensible ne peut être détaché d’un plan social d’accompagnement permettant la réduction des tensions.

La formation brute de capital fixe (routes, bâtiments, etc.) ne contribue pas à court terme à remplir le couffin de la ménagère. Elle y participe long terme quand elle entre comme vecteur indirect au service de la croissance des unités économiques nationales. Or qu’est-ce que le PIB, si ce n’est la somme des valeurs ajoutées de unités économique d’un pays en un temps T.

L’erreur de Aziz est de croire que la superstructure (le politique) est tributaire de l’infrastructure (formation brute de capital fixe). L’accroissement du réseau goudronné de Nouakchott est-il un facteur de cohésion nationale ? Pourrait-il être un élément substantiel dans l’accroissement du pouvoir d’achat du citoyen ?

D’autre part, le facteur socioculturel de la réceptivité par le mauritanien des actes faits en sa faveur n’a pas été pris en compte. La donne culturelle est absolument absente de l’approche infrastructurelle.

Qui connait le mauritanien, sait, que du fait de son tempérament, de la « haute estime » qu’il a de sa propre personne, il rejette tout acte même fait en sa faveur mais qui lui est imposé. Si ce n’est pas un rejet total c’est au moins un ressentiment d’être foulé du pied. Nous avions déjà consacré un article à cette donne socioculturelle du temps où Aziz était un putschiste non encore légalisé (lire ici : Vive Aziz! Et ici : qui est prêt à perdre ?)

II- Un fusible pour Aziz

En effet, ce que Aziz ne semble pas ressentir dans son élan d’après-élection, par lequel il essaye de prouver qu’il mérite son élection, c’est que l’ensemble de ses actes génèrent une tension très particulière. Une tension dont il n’a prévu ni l’étendue, ni les moyens d’y faire face. L’enfer, dît-on « est pavé de bonnes intentions ». Les bonnes intentions d’Aziz ne sauraient suffire à faire accepter ses réalisations embryonnaires dans un pays où depuis plusieurs années, les dirigeants n’ont dû leur maintien qu’au pouvoir des armes et leur destitution qu’à leur absence au propre et au figuré.

Mais ce qui fait défaut à Aziz, président putschiste démocratiquement élu, c’est justement sa trop grande présence. Aziz est trop visible. Il s’expose. Pris dans l’image iconique du « président des pauvres ». Il construit. Harangue. Limoge. Et pense que cela est suffisant pour que tout aille « pour le mieux dans le meilleur des mondes ».

Cependant, Aziz en travaillant pour les « pauvres », a oublié dans sa frénésie populiste que ce ne sont pas les pauvres qui décident en Mauritanie. Ce ne sont pas les pauvres qui défont les régimes en Mauritanie. Ce ne sont pas les pauvres qui trahissent. Ce ne sont pas eux qui fourbissent les coups d’Etat et les coups de palais. Ce ne sont pas eux qui, détachés des contraintes du pain quotidien, discutent à longueur de journée, dans les salons cossus, des voies et moyens de grignoter le pouvoir ou de prendre leur revanche.

Les pauvres en Mauritanie, prennent ce qu’on leur donne, mais ne font ni ne défont les gouvernements. L’investissement d’un gouvernant chez les pauvres est une excellente stratégie pour un Président d’un pays démocratique, à tradition démocratique, et autour duquel le consensus généré par une cohésion non simulée (par la politique du ventre notamment) renforce son action. En Mauritanie, les pauvres ne sont pas un bouclier mais des boucs émissaires.

Or considérant la surchauffe économique susmentionnée, un mécontentement social ne manquerait pas de surgir dont certains ne manqueront pas de profiter, Aziz a plus que besoin de mécanismes pouvant le sortir de l’ornière dans laquelle, il est en train de se fourvoyer.

Dans les pays démocratiques, présidentialistes notamment, le Président de la République se façonne un bouclier à travers l’institution du « Premier ministre ». Ce dernier sert souvent de bouc émissaire lorsque les décisions prises (souvent prises par le président lui-même) entrainent une tension et menacent le président, sa crédibilité ou la confiance placée en lui. C’est le Premier ministre qui « saute » pas le Président. C’est, pourrait-on dire, un « fusible » institutionnel. Le Président reste, le Premier ministre s’en va. Et le Président nomme un nouveau « fusible »…

Pour que cependant un tel « Premier ministre-coupe circuit » puisse exister, il faut qu’il soit crédible en sa personne et capable d’assumer la responsabilité des actes …du Président.

En Mauritanie, Aziz, ne bénéficie pas d’un tel mécanisme institutionnel. Certes le premier ministre existe, mais il ne semble exister que pour exister. Pire encore, il est un facteur aggravant de la surchauffe sociale et politique.

Ses dernières considérations discursives sur la langue arabe versus les langues nationales, n’ont pas été un élément de paix sociale. Ce premier ministre semble travailler d’un côté et le Président de l’autre. Le second travaille à découvert, le premier derrière les murs. Un Premier ministre intra-muros. Un Président sur les talons.

Le diagnostique sur la situation actuelle telle qu’approchée de visu à Nouakchott permet de dire que Mohamed Ould Abdel Aziz est pris dans un sérieux engrenage :

- D’abord, un « milieu » politique immédiat qui le porte au nues (courtisans et autres chimères de palais) et qui désinforme le Président sur les réalités du pays,

- Ensuite, un espace politique d’opposition (connaissant l’entêtement de Aziz) qui lui fait croire qu’il s’oppose à ce qu’il fait mais dont le but inavoué est de pousser Aziz davantage dans l’impasse socio-économique dans laquelle il s’est lancé, espérant une crise qui le bloquerait ou l’éjecterait (civilement ou militairement) au plus vite du pouvoir.

En définitive, Aziz risque de s’écraser sous le poids d’un élan populiste qu’il pense durable et porteur. Mais qui en fait s’émousse sous l’usure d’un quotidien socio-économique difficile pour les populations et en surchauffe sensible.

Ce qui manque donc à Aziz, en l’absence d’un « disjoncteur » politique, est un fusible qui le mettrait à l’abri d’un « court-circuit » socio-économique. Sans plan social d’accompagnement de son action, réducteur des tensions, sans stratégie politique nationale associant les acteurs nationaux (société civile notamment) permettant le dialogue réducteur des conflits, Aziz est un acrobate qui travaille sans filet sur une corde raide.

Pr ELY Mustapha

1 commentaire:

  1. Mon cher ami, la tension sociale permanente ne peut résider dans un manque de liquidité ou autre facteur de conjoncture politique,

    La principale tension datrice est l'esclavage qui perdurent et l'apartheid qui fait que pour une majorité éxcrasante de Noirs, il y a 5 ministres contre une trentaine sur une infime minorité de blancs.

    A tel points que les esclaves et anciens esclaves ne veulent plus même prier dans une mosquée dont l'imam est blanc. Ils voient du sacrilège et de la méchanceté au nom de l'islam.

    L'islam que l'on crie à tort et à travers sans partager une miette.

    Voilà la réelle tension qui va mettre la Mauritanie à feu et à sang à cause de la méchanceté de supposés musulmans et qui sont d'accord avec l'esclavage et l'apartheid !

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Pr ELY Mustapha