mardi 13 août 2024

Du cannibalisme économique : l’Etat mauritanien mange-t-il ses enfants ? Par Pr ELY Mustapha

Chaque enfant mauritanien en gestation, qui nait, ou qui naitra est déjà héréditairement surendetté, économiquement esclave, financièrement débiteur, matériellement appauvri, humainement insignifiant et socialement misérable. 

 

Qu’est-ce que la vie, sinon la capacité pour l’être de bénéficier de toutes les conditions nécessaires à son existence. Et la première de ces conditions est de pouvoir subvenir à ses besoins économiques vitaux assurant ainsi sa subsistance. Lorsque ces conditions sont confisquées par avance alors l’être vient au monde, mort-né. C’est ainsi que tout être dont les conditions de vie sont hypothéquées et les perspectives de survie sont gagées est une créature consumée et consommée avant d’exister.

La confiscation, la dilapidation, le gaspillage des ressources publiques conduisant à hypothéquer et gager l’existence même des générations futures, par le surendettement, la mise sous séquestre des biens publics, la spoliation et le bradage des ressources naturelles et sans conteste une forme de dévoration de la chair humaine, conduisant à tuer toute perspective de vie ou de survie. Une forme de cannibalisme, à visage économique.

Chaque enfant mauritanien en gestation, qui nait, ou qui naitra est déjà héréditairement surendetté, économiquement esclave, financièrement débiteur, matériellement appauvri, humainement insignifiant et socialement misérable.

Chaque Mauritanien, hier déjà bien pauvre, sera plus misérable demain, bien plus qu’aujourd’hui et encore plus qu’hier …. Rosemonde de l’indigence,  le Mauritanien, naitra, vivra et mourra pauvre.

 C’est ainsi qu’en a décidé l’Etat mauritanien dans son inconséquente stratégie du (sous) développement, par le surendettement obligé, non consenti, unilatéralement décidé et géré de la plus calamiteuse des manières.

Avec un surendettement total élevé la Mauritanie s’est largement appauvrie. Aujourd’hui, elle s’appauvrit de plus en plus. En 2022, pour ne retenir que cette année charnière, le ratio du service de la dette sur recettes budgétaires est alarmant (26,2% en 2022). La dette publique dépasse les 70% du PIB non extractif.

L’endettement du pays est de l’ordre de 5 milliards USD. Soit plus de 70% du PIB du pays, estimé à 7,448 milliards USD. Et avec un service de la dette de plus de 200 millions USD.


En effet, la Mauritanie, ne sera certainement plus un pays viable dans une perspective maximum d’une cinquantaine d’années sinon bien avant. En voici les raisons principales :


- Dans une perspective d’une cinquante d’années les ressources naturelles actuellement exploitées (Fer, Gaz, Pétrole et pêche) seront épuisées sinon réduite de façon draconienne. Or on sait que le revenu national du pays provient à 90 % de l’exploitation de ses ressources naturelles.


- Le pays est soumis à une désertification galopante, une déforestation et une réduction catastrophique de son espace arable. L’agriculture et l’élevage étant le pilier d’une économie locale de subsistance, fragile, ne sera plus que l’image d’elle-même dans les cinquante prochaines années.

- Les villes côtières, saturées par un exode rural d’une population démultipliée , sont soumises au danger des inondations maritimes du fait du réchauffement climatique et de la pollution en perpétuelle croissance.

A l’orée de l’année 2070 et poussières, la Mauritanie, aura épuisé ses ressources naturelles et son revenu national aura par là même disparu. Elle se trouvera en face d’une économie inexistante qui alimente ses circuits de biens et services importés qu’elle ne peut plus se permettre d’acquérir. Et ce sera le déclin d’un pays, comme tous ceux qui à travers l’histoire ont vécu dangereusement, dans la violence qu’ils se sont faits à aux mêmes ou qui ont sombré dans le vice.

Si dans cinquante ans la Mauritanie disparaît c’est simplement qu’elle n’aura pas préparé les moyens de son développement futur.


En effet, si l’on regarde actuellement les chiffres de performances de l’économie mauritanienne, on se rend compte, qu’elles sont totalement erronées (n'en déplaise aux  décideurs publics qui ont fait de la COVID-19 un bouc-émissaire de leur mauvaise gestion, au FMI et à la BIRD). Et voici pourquoi :


- Une Croissance du sous-développement. La croissance affichée par les pouvoirs publics est fausse car elle ne correspond pas une croissance réelle engendrée par la valeur ajoutée des unités et des agents économiques à l’économie nationale. La croissance dont il s’agit est calculée sur la base de la rente nationale, issue justement des revenus des ressources naturelles. Le Produit intérieur brut, ne reflète pas les réalités de l’activité économique mais la croissance d’une rente nationale .

Ainsi si la vraie croissance économique traduit la variation quantitative, durable, auto-entretenue et non réversible de la production de biens et services, la fausse croissance en Mauritanie traduit la variation quantitative non durable, auto-entretenue et réversible d'un revenu national (d'une rente pétrolière et autre) au profit d'une minorité qui a depuis longtemps (et depuis toujours) planifié son détournement au détriment du développement. La vraie croissance repose sur la fonction de production et non pas d'accumulation de revenu national (issu de la rente).

La "croissance » en Mauritanie est trompeuse, c’est celle d’un "revenu national" (de surcroit non distribué) et non pas la  vraie croissance,  celle de la somme des valeurs ajoutées des unités économiques du pays et qui s'exprimeraient par des variations du Produit Intérieur Brut (PIB) réel (corrigé de l'inflation) ou nominal (exprimant la valeur marchande des biens et des services produits par un pays.).

Cette fonction de production repose sur l'utilisation des facteurs de production, travail et capital. La croissance dépend donc des quantités de facteurs de production disponibles et de la manière dont ils sont utilisés.

Le facteur travail : la croissance est possible grâce à une augmentation de la quantité de travail disponible ou par une augmentation de la qualité du facteur travail utilisé.

Le facteur capital : la croissance se traduit par des Investissements qui viennent accroitre ou améliorer le stock de capital technique disponible ce qui permet une augmentation des quantités de biens et services produites.

Et enfin, le progrès technique : qui accroit la productivité des facteurs de production utilisés. Près de la moitié de la croissance économique serait le fait de ce progrès technique.

Alors au vu de l’absence de ce qui précède (le travail, le capital, la technique), la croissance en Mauritanie  est une croissance du sous-développement  assise sur « une rente nationale », non distribuée, accaparée par une minorité ; s’inscrivant dans un triangle de gouvernance vicieuse  militaro-tribalo-mercantile.

La majorité de la population mauritanienne souffre de misère et l'infrastructure publique est un champ délabré au milieu des détritus qui couvrent les rues et les avenues.

Nos rues sont peuplées d'enfants et de vieillards mendiants;  nos hôpitaux sont des cimetières à ciel ouvert,  notre parc automobile national est un ramassis de carcasses rouillées qui sentent la mort à plein nez… Les hôpitaux tout-autant que les routes  sont des mouroirs.

Les services domestiques les plus élémentaires (eau et électricité) sont absents et des populations entière se meurent de soif et de malnutrition.


- Le commerce mauritanien est un commerce tout orienté vers l’enrichissement personnel de quelques commerçants qui exportent leurs bénéfices et n’investissent pas dans le pays. C’est un commerce créateur de consommation, d’appauvrissement des citoyens et d’exportation de ses bénéfices.


- La technologie nationale n’existe pas. La Mauritanie ne possède ni des laboratoires de recherche, ni un savoir-faire technologique exporté, elle vît entièrement de la dépendance technologique tant pour les biens que pour les services.

Vue de l'extérieur, la Mauritanie n'a aucune industrie qui exporte un produit national compétitif et générateur d'emploi et de revenus. Nous ne produisons rien commercialement ou technologiquement qui vaille la peine d'être exporté.


- L’inexistence d’un tissu industriel pouvant supporter la demande nationale , conquérir des marchés extérieurs et créer l’emploi. De ce point de vue la Mauritanie est complètement démunie et dépendante des industries étrangères à travers l’importation de leurs produits manufacturés.

Le cannibalisme économique fera donc que la Mauritanie se retrouvera dans les prochaines années avec une rente, provenant de ressources naturelles, totalement épuisée et elle n’aura pas développé des revenus permettant de prendre la relève et donner une chance de survie aux génération futures :


- Pas de technologie exportable, pas de label, pas de marque industrielle ou commerciale conquérant les marchés internationaux.


- Pas d’industrie du savoir-faire performante couvrant les besoins des secteurs économiques du pays.


- Pas de sociétés commerciales compétitives à l’échelle nationale et internationale pourvoyeuses de fonds pour le pays.


- Pas de ressources humaines hautement qualifiées développant dans des laboratoires de recherches les produits de pointe, garantie de perpétuité d’une maîtrise technologique sous-tendant une économie forte.

-          Pas de jeunesse .Une saignée hémorragique de la jeunesse, force de développement et d’avenir du pays , qui s’est exilée et  qui a, déjà depuis longtemps ; « sauté » les murs et les frontières d’autres nations pour trouver pitance.

-          Pas  de conscience civile Une société prise dans les discours  de ses marabouts à œillères, maintenant une société bigote et fataliste toute tournée vers la souffrance,  et la résignation à l’injustice et à son misérable sort. Arrangeant ainsi les gouvernants dans l’exécution en toute quiétude de leurs basses-œuvres.

-          Pas de citoyenneté. Les régimes successifs ont détruit l’Etat au profit des tribus. Il n’est plus qu’un ramassis d’individus s’identifiant à l’on ne sait plus qu’elle lignée tribale et qui pille au nom de sa personne et de son cousinage avec la bénédiction de sa tribu.

 
Hélas ce cannibalisme, aboutit à un pays exsangue, au sommet duquel se battent des politiciens qui pensent que demain leur appartient. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que la Mauritanie, demain, à cause d’eux, risque d’être pire qu’aujourd’hui. Un désert stérile, vidé de ses enfants dévorés par un Etat cannibalisé par un siècle d’indigence.

 Depuis Hobbes, l’Etat serait un Léviathan. 

Monstre destructeur ou puissance protectrice, peu nous importe la philosophie de Hobbes, sinon que force est de constater que transposé dans la sphère économique mauritanienne, ce monstre mange inexorablement ses enfants . Kronos encore.

 

Pr ELY Mustapha

 

lundi 22 avril 2024

OTAN en emporte le vent…de Sibérie. Par Pr ELY Mustapha


« Quand deux éléphants se battent c’est l’herbe qui souffre » (Proverbe africain)


La situation actuelle dans la région du Sahel, en particulier au Mali et en Mauritanie, est complexe, marquée par des défis sécuritaires et l'influence de grandes puissances telles que l'OTAN et la Russie.

L'Alliance cherche à renforcer sa coopération avec la Mauritanie dans un contexte où la région du Sahel est confrontée à des défis sécuritaires complexes. L'OTAN voit en la Mauritanie un partenaire essentiel, ce qui se reflète dans les programmes de coopération et de renforcement des capacités militaires entre les deux parties. La Mauritanie, de son côté, bénéficie de ces initiatives pour améliorer ses capacités de défense et de sécurité face aux menaces régionales, notamment le terrorisme.

D'autre part, les développements du côté malien révèlent une dynamique différente, avec une implication de la Russie via la société militaire privée Wagner. Les opérations militaires mal coordonnées et les actions brutales contre les Mauritaniens dans la zone frontalière semblent indiquer une volonté de démontrer une présence et une efficacité accrues dans la lutte contre le terrorisme. Cette implication russe à travers Wagner suggère un intérêt de la Russie à étendre son influence dans la région sahélienne, potentiellement au détriment des intérêts occidentaux, y compris ceux de l'OTAN.

Dans ce contexte, les récents incidents frontaliers entre la Mauritanie et le Mali exacerbent les tensions et soulignent les défis auxquels sont confrontés les deux pays. Les allégations d'actions militaires mal coordonnées et les accusations mutuelles de soutien à des groupes terroristes alimentent la méfiance et la frustration. Cependant, les efforts diplomatiques déployés par les autorités maliennes, notamment la décision d'ouvrir une enquête et d'envoyer une délégation à Nouakchott, témoignent d'une volonté de désamorcer la situation et de maintenir des relations de bon voisinage.

Sur le plan stratégique, il est crucial de reconnaître les intérêts divergents des acteurs impliqués. Alors que l'OTAN cherche à consolider sa présence dans la région en coopérant avec la Mauritanie, la Russie, à travers Wagner, semble chercher à renforcer son influence au Mali. Ces dynamiques concurrentes pourraient compliquer davantage la résolution pacifique des tensions entre la Mauritanie et le Mali et nécessiter une approche multilatérale concertée pour garantir la stabilité et la sécurité dans la région sahélienne.

Deux éléphants…

Pour éviter d'être pris dans les feux croisés des intérêts et de l'influence de ces puissances, le Mali et la Mauritanie se doivent avant qu’il ne soit trop tard de prendre les mesures stratégiques qui s’imposent.

En effet, au-delà du factuel qui fait la prédilection des médias (« tensions ; convocation d’ambassadeurs, discours à demi-mots etc..), les deux pays devront se recentrer sur leurs intérêts régionaux commun à travers la résolution de leurs différents locaux., notamment frontaliers.

En somme comment  tout en gardant leurs alliances militaires, contre lesquelles d’ailleurs , ils n’ont ni la volonté, ni les moyens de se défaire, comprendre qu’ils risquent de faire les frais de deux géants qui s’affrontent sur leurs propres territoires , l’OTAN et la Russie.

Tout d'abord, les deux pays se doivent renforcer leurs partenariats existants avec les organisations régionales et internationales, telles que l'Union africaine et les Nations unies. Ces organisations peuvent fournir une plateforme de dialogue et de coopération, ainsi qu'un soutien technique et financier pour la réforme du secteur de la sécurité et le renforcement des capacités. Par exemple, le Mali a déjà réalisé des avancées significatives dans ce domaine en rejoignant le Programme d'amélioration de l'éducation militaire de l'OTAN (DEEP) en 2013, qui vise à renforcer les institutions d'éducation et de formation militaires du pays.

Deuxièmement, le Mali et la Mauritanie peuvent renforcer leur coopération bilatérale dans des domaines tels que la défense, la sécurité et le partage du renseignement. Cela peut inclure des exercices militaires conjoints, des programmes de formation et des accords de partage du renseignement pour contrer des menaces communes telles que le terrorisme, la criminalité organisée et la traite. Par exemple, le Mali et la Mauritanie ont déjà coopéré sur plusieurs projets de développement, tels que l'OMVS et un plan visant à améliorer les routes entre Nouakchott et Bamako.

Troisièmement, les deux pays peuvent adopter une approche plus proactive et inclusive de la résolution des conflits et de la consolidation de la paix. Cela peut impliquer l'engagement de toutes les parties prenantes pertinentes, y compris les organisations de la société civile, les leaders communautaires et les autorités locales, afin de renforcer la confiance et de promouvoir la cohésion sociale. Cela peut également inclure le soutien à des mécanismes de justice transitionnelle, tels que les commissions vérité et les programmes de réparations, pour aborder les abus passés et promouvoir la réconciliation.

Enfin, les deux pays peuvent investir dans le développement économique et les services sociaux, en particulier dans les zones marginalisées et affectées par les conflits. Cela peut contribuer à résoudre les causes profondes de l'insécurité et de l'instabilité, telles que la pauvreté, le chômage et l'exclusion sociale, et créer des opportunités de développement pacifique et durable. Cela peut également contribuer à réduire l'attrait des idéologies extrémistes et des efforts de recrutement des groupes armés.

Le Mali et la Mauritanie sont confrontés à d'importants défis sécuritaires et à des pressions géopolitiques, mais ils disposent également de plusieurs options stratégiques pour naviguer dans ces défis et protéger leur souveraineté et leurs intérêts. En renforçant leurs partenariats, en améliorant leur coopération bilatérale, en adoptant une approche plus inclusive de la résolution des conflits, en diversifiant leurs partenariats internationaux et en investissant dans le développement économique et les services sociaux, les deux pays peuvent renforcer leur résilience et promouvoir la stabilité dans la région du Sahel.

Mais faudrait-il qu’à l’ambition aveuglante de putschistes  et la vindicte de gouvernants, croyant à la pérennité des alliances avec des puissances dominantes, succède un retour à la raison avant qu’ils ne soient écrasés et que le chaos voulu par les puissances, ne s’installe pour  assujettir l’Afrique et piller ses richesses… Et  c’est cela,  de l’OTAN à la Sibérie, la sagesse des impérialismes.  Deux éléphants…

 

ELY Mustapha