lundi 9 août 2010

Spartacus à Carthage

 

imagesCA30LEQ5 ça IRA plus , si ça va mieux

 

J’ai rencontré Biram Ould Dah Ould Abeid  (BDA) durant son passage à Tunis. Curieusement l’homme n’est pas au rendez-vous de l’image que les medias mauritaniens donnent de lui. Il n’est ni vindicatif, ni agressif ni porté sur la polémique. Très posé, j’ai pu m’entretenir avec lui à bâtons rompus sur toute la thématique qui traverse son discours et ses prises de position qui ont fait les points d’orgue de la sphère médiatique et les bémols de la critique politique .

Voici ce que nous avons retenu de son attitude et  de ses positions ( I ) et les idées partagées avec lui  ( II )

 

I- Un homme de conviction : ça IRA, si ça va pas.

BDA, est profondément attaché à son pays et aux hautes valeurs que  prône la société mauritanienne. Seulement  BDA, n’est pas un conformiste, il préfère mettre les pieds dans le plat politique et renverser la gamelle de ceux qui en voudraient les miettes.

En cela son discours, ne plait pas. Il s’attaque à des “impondérables” et surtout à des “tabous” que certains ont érigés en juteux placements pour leur “carrière” religieusement politique ou politiquement religieuse. Au choix du moment et du revers de la veste.

Nul doute que BDA dérange. Pour preuve ces “têtes à majorité” qui s’attaquent à son discours comme si, en le faisant, elles prouvaient qu’elle valent mieux que celui qu’elles dépècent.

En vérité, l’entretien avec BDA a permis de comprendre la dérive dans laquelle se placent les médias et les détracteurs politiques. Il y a en effet, une réelle confusion entre l’homme, ce qu’il est ou ce qu’il fut et les idées qu’il véhicule. L’amalgame est facile et ceux qui le critiquent sont davantage portés sur sa personne que sur les fondements de ce qu’il prône.

Ces idées les voici:

- l’esclavage existe en Mauritanie, il doit être éradiqué

- l’éradication de l’esclavage est contrée par une mentalité ancrée dans des préceptes  auto-entretenus par une minorité religieuse;

- L’Etat est handicapé par un chapelet d’oulémas qui lui enlèvent toute volonté de combattre, dans une vision objective basée sur le droit positif, notamment les ordonnances en vigueur, le phénomène esclavagiste;

- Le citoyen mauritanien est pris au piège d’uen société mauritanienne qui n’arrive pas à se libérer du carcan politico-militaro-religieux  qui l’assujettit à sa volonté et empêche son libre arbitre dans un Etat moderne et laïc.

- Le pouvoir politique manipule et “achète” des franges de la société et notamment une part de l’intelligentsia mauritanienne (y compris des haratines) pour assujettir les contestataires de la communauté harratine et en fait ses suppôts pour faire échouer sa cause;

- La guerre contre le terrorisme est une manipulation du pouvoir (en connivence avec une puissance étrangère)  pour “accaparer” l’opinion nationale et brandir des arguments “sécuritaires” pour noyer toutes les causes légitimes, notamment la cause harratine,  et les multiples revendications du peuple et de ses représentants.

- La communauté harratine est la plus démunie et la moins instruite. Une politique entretenue par le pouvoir en place pour continuer à l’assujettir.

Pour développer ses idées , BDA utilise un argumentaire appuyé sur une approche méthodologique spécifique (voir l’article “Spartacus au pays de l’opium”) et n’hésite pas à s’inscrire en faux par rapport au milieu politqiue ambiant. Seulement si l’on a bien compris BDA et les idées qui sous-tendent son élan, il n’en demeure pas moins que par certains aspects il y a des élèments essentiels à prendre en considération qui détermineront l’avenir de son mouvement.

II- Un mouvement en deux temps: ça ira, si ça va mieux.

Lors de notre entretien, j’ai pu partager avec BDA, mon opinion sur son  mouvement. Cette opinion tient dans les quelques appréciations suivantes. 

Le “hic” du mouvement, c’est son enfermement de fait sur une frange de la population: les harratines. Bien qu’il soit certain que des membres d’autres communautés l’aient rejoint, il n’en demeure pas moins que ce flux reste peu significatif pour mettre ce mouvement dans une orbite nationale lui permettant de défendre une cause à forte assise  politique.

la stratégie du mouvement se devraient de prendre en considération les deux éléments suivants:

- drainer les membres des autres communautés nationales (Maures “blancs”, négromauritaniens) pour accroitre l’assise populaire du mouvement.

- Elargir le programme politique à des objectifs nationaux de développement ( Genre, Education, Economie, social etc.) transcendant et se juxtaposant à la cause défendue.

A travers cette approche, le mouvement revisera les modalités de son action et inscrira sa cause dans une approche intégrative d’opinions nationales, proches ou sympathisantes, qui y trouveront matière à adhésion.

Les bénéfices de cette stratégie sont multiples.

D’abord à travers un programme politique étoffé, le mouvement pourra prétendre à plus de dynamique institutionnelle et à plus d’émancipation par rapport à son statut actuel de mouvement fermé sur une cause (escalavagisme) qui le place sous le régime d’une ONG à envergure limitée.

Ce mouvement restant encore tributaire des conditions de sa naissance est encore lié à son environnement partisan (El Horr, APP, SOS Esclaves, etc…) et il ne pourra s’en détacher que s’il développe une stratégie d’autonomie institutionnelle (Statutaire et politique), s’il élargit sa base à des communautés autres que harratines qui adhèrent  à sa cause et justifient donc son universalité en Mauritanie.

Cette stratégie permettra alors de contrer  les critiques portées actuellement au mouvement. Notamment son caractère sectaire, son isolement par rapport au reste des communautés et son discours “secessionniste” et non partagé.

Enfin, dans cette optique, les idées que développe BDA, ne seront pas celles d’un homme pris singulièrement comme tel (un harratine “revanchard”), ni celle d’une communauté à velleïté spécifique (les harratines) mais de tout un mouvement à différentes composantes, développant un programme national (dans lequel s’inscrit la lutte anti-esclavagiste) et qui draine des militants de tous bords.

Il est vrai que, face à la structure sociale et politique en Mauritanie, il est vain de vouloir se battre et gagner à l’échelle nationale en étant le porte-étendard d’une communauté spécifique, sans rencontrer les infranchissables barrières des autres communautés qui, elles, n’échappent pas à des convictions tout aussi fortes que celles que véhiculent leurs “mentors” ou que leur impose, par l’autorité et les moyens,  le pouvoir en place.

Certes, un mouvement basé sur une idée force (abolition de l’esclavage), développant une communication aggressive à propos de cette problématique à haute teneur humanitaire (l’esclavage) s’attirera la sympathie et sans doute le soutien (moral ou financier)  d’une communauté internationale, mais il ne sera entendu que comme une ONG et n’aura jamais l’envergure qu’il doit avoir et qu’il recherche: devenir un mouvement politique visant à bâtir, une société meilleure par une participation effective et  programmée à l’exercice du pouvoir.

Pr ELY Mustapha